Gérard Longuet refuse les coupes claires dans le budget de la Défense. L’ancien ministre de la Défense est favorable à la réduction des participations de l’Etat dans le capital des entreprises du secteur pour aider au désendettement du pays.
L’Usine Nouvelle – Qu’impliquerait une baisse de l’effort de défense à 1,1% du PIB comme envisagée dans certaine scénario?
Gérard Longuet – 1,1 % du PIB en dépense de défense est simplement inacceptable sans remettre en cause les principales missions de la politique de défense: la dissuasion d’une part et d’autre part la capacité de projection et d’intervention extérieure. Sans perdre également l’initiative dans la technologie militaire où nous sommes au premier plan. Or l’industrie de défense est une chance pour le pays car les prix comptent moins que la technicité et l’indépendance.
La France a la technicité et l’indépendance vis à vis des Etats Unis. Contrairement à d’autres pays, nous n’avons pas de blocage américain pour limiter nos exportations. Or si l’on passe de 1,5% à 1,1%, on ne pourra plus maintenir les dépenses de crédits d’études amont. Pourquoi? La moitié des dépenses du budget sont des dépenses de salaires sur lesquelles on peut difficilement intervenir si l’on veut conserver une armée consistante. Pour pouvoir projeter 20 000 hommes à l’extérieur, il en faut 100 000 durablement.
L’autre moitié se partage entre les investissements de matériel et son maintien en condition opérationnelle. Si le matériel n’est pas entretenu, il sera inutilisable quand on en aura besoin. Si on étale les programmes, cela a deux inconvénients. D’une part, le matériel nouveau ne vient pas dans les unités. D’autre part, sous un certain seuil de commandes, les chaines de production des industriels sont fragilisées, comme celle du Rafale, dont le seuil minimal est de 11 appareils par an. Les marges de manoeuvre sont relativement étroites.
L’effort en matière de dissuasion nucléaire doit-il être maintenu?
On ne peut pas renoncer à maintenir la dissuasion à son très haut niveau de technicité. Aujourd’hui la dissuasion c’est un peu de matériel et beaucoup des études de simulation, d’explosions, de tirs d’interception. C’est à travers ces simulations que la France impose une image de compétence De même qu’il est difficile de renoncer à des programmes ambitieux d’équipements. Par exemple, réduire le nombre de sous-marins nucléaires d’attaque, ou ne pas chercher à améliorer la portée des missiles des SNLE.
La dissuasion ne marche que si elle ne fonctionne pas; et pour cela, il faut que la performance technologique soit notoirement et de manière permanente au top niveau. Si on commence à se définir des objectifs plus modestes, c’est notre crédit international que l’on perdait. Enfin, je veux rappeler que les fonctions régaliennes sont prioritaires. La TVA sur la restauration a pratiquement couté au budget de l’Etat le financement annuel de la dissuasion nucléaire. Où l’Etat est-il à sa place?
Mais avec qui la France doit-elle se mesurer?
Sur le plan technologique, le pays le plus puissant aujourd’hui ce sont les Etats-Unis et demain peut-être la Chine. Aujourd’hui, les Chinois ne savent pas encore faire fonctionner leur porte-avions, ce qui laisse un répit de dix ou quinze ans. Il faut garder cet avantage même si on ne veut faire la guerre à personne, cela nous met dans une situation de respect dans les relations internationales. L’argent dépensé dans la Défense nous donne un poids dans les réunions européennes que nous retire notre perte de compétitivité industrielle ou notre endettement. Les Allemands savent très bien que nous pouvons faire ce qu’ils ne sont pas en mesure de faire à cet instant.
Alors où trouver les économies?
Il n’y a pratiquement pas d’économies en matière de défense. On peut éventuellement céder des actifs immobiliers peu utiles. Il faut surtout mettre en contrepartie de la défense les réussites à l’exportation où l’on peut faire plus et mieux, et peut-être les transferts de la technologie. Je suggère que le ministre de la défense se donne les moyens de valoriser les avantages externes de la Défense comme par exemple, le rééquilibrage dans la relation franco-allemande. C’est aussi le fait d’avoir une indépendance dans certaines technologies qui manque aux autres pays. Autre avantage à valoriser: la présence et la capacité d’intervention de la France dans certaines parties du monde, l’Afrique en particulier. Ni les Russes ni les Chinois ne sont prêts à intervenir de cette manière. C’est un atout indirect pour les entreprises françaises participant au développement de l’Afrique. Nos partenaires africains savent très bien que lorsque cela va mal, ils peuvent compter sur la France.
L’Europe de la Défense est-elle une solution pour dépenser moins et mieux, en mutualisant notamment ?
C’est simplement impossible. La première raison est politique. Les autres pays européens n’ont absolument pas envie d’organiser leur défense. Ils sont dans une situation de restriction de leurs budgets et on ne peut bâtir avec eux des projets durables. Or les projets à plusieurs commencent d’abord par coûter. La deuxième raison est technique. L’armement dont vous vous dotez correspond aux types de menaces que vous voulez affronter. Si on excepte la France et la Grande Bretagne, tous les pays européens veulent d’abord défendre leur territoire. Il leur faut un matériel adapté à l’Europe et non à l’Afghanistan, au Mali, aux Malouines… Le Transall construit en commun par les Francais et les Allemands, est un exemple concret. Aujourd’hui des mécaniciens allemands ne pourraient pratiquement pas entretenir nos Transall et réciproquement. La mission des appareils a en effet divergé. Le Transall allemand est fait pour alimenter le front russe en matériel américain à déposer dans les ports de la mer du Nord, tandis que notre Transall est fait pour déposer des forces spéciales à des milliers de kilomètres de leur base. Ce n’est plus le même avion.
Dans le contexte actuel, faut-il activer la restructuration des groupes de défense en France?
Les grands groupes de défense français ont une double caractéristique positive. D’abord, ils sont quasiment tous duaux, civils et militaires. Ensuite, ils font une part importante de leur chiffre d’affaires hors de France. Ils sont considérés comme multinationaux. C’est le cas de Thales: anglais en Angleterre, néerlandais au Pays-Bas… Le « mécano » industriel me fait peur quand il n’y a pas de nécessité absolue. On ne peut non plus procéder à une intégration verticale trop poussée entre un grand systémier comme Thales et des plateformistes. Typiquement, DCNS, par exemple, se priverait d’une partie de son marché des navires militaires s’il ne devait vendre que des systèmes Thales, alors que ses clients ont fait d’autres choix. Mais Il y a un besoin d’alliances européennes Franco-Allemandes sur le matériel roulant et naval.
Etes-vous favorable au désengagement de L’Etat du capital de ces grandes entreprises?
Le drame de l’industrie de défense française est qu’il n’y a pas assez de privé. L’Etat est au capital d’EADS, de Safran, de Thales… Par ailleurs, la participation d’EADS au capital de Dassault est loufoque. EADS participe à l’avion de combat Eurofigther concurrent du Rafale ! Inversement, Dassault est le premier actionnaire de Thales qui est concurrent d’EADS sur les missiles et autres systèmes. Tout cela est très compliqué. Je serai incapable de vous donner une solution pour donner du sens à tout cela en trois minutes. L’Etat pourrait effectivement céder une partie de ses participations dans les entreprises de défense. Cela pourrait être au fond une contribution de la Défense au désendettement de l’Etat. De toute façon, l’Etat contrôle totalement ces grands groupes à travers ses commandes et l’orientation qu’il donne. Qu’il soit propriétaire ou pas, cela ne change rien.
Propos recueillis par Hassan Meddah