Dans sa remarquable thèse de Doctorat Antoine-Paul NAEGEL présente une histoire économique de la Meuse de la Révolution (1790) à la Grande Guerre (1914), passionnante et accessible. Précisément, page 44, il livre un tableau où sont comparées les évolutions démographiques de la France, de la Meuse de 1801 à 1999.
La lecture de ce tableau nous restitue toute l’histoire de notre département et nous éclaire sur nos perspectives d’avenir.
Un Département comme les autres jusqu’en 1851
Sous l’Empire, la Meuse est un département comme les autres ! Avec 269 500 habitants recensés en 1801 ou 284 700 en 1806 il se compare à la Meurthe, aux Vosges, à la Moselle même s’il est plus petit (365 810 habitants pour la Meurthe et Moselle, 385 949 pour la Moselle et 334 169 pour les Vosges).
Il progressera jusqu’en 1851, mais déjà moins vite que le reste de la France, atteignant un maximum de 328 600 en 1851.
A cette époque et alors que la révolution industrielle ne fait que commencer, la population dépend de l’espace agricole disponible et de la richesse de cet espace. La Meuse n’est pas à l’époque sur ce plan plus avantagée qu’aujourd’hui : les sols et le climat en font une région intermédiaire. Aussi, sa densité est plus faible que la moyenne nationale, comme l’est la densité Lorraine. Avec 48 habitants au km², la Meuse est en dessous de la France, 67 habitants au km².
Mais il vrai que la charge à l’hectare est plus faible et que les forêts qui alimentent l’industrie – très forte sous l’Empire – ne favorisent pas une population dense.
Mais, par exemple, avec plus de 6 900 ouvriers en métallurgie en 1810, la Meuse est dans les 6 départements les plus industriels de France.
Un décrochage spectaculaire en 20 ans
La courbe est frappante : de 1851 à 1872 la Meuse perd 42 000 habitants dont 23 000 en 5 ans, de 1851 à 1856. Nous avons oublié la dernière grande épidémie de choléra qui nous coûtera 8 458 morts en 1854. Mais cette tragédie n’explique pas tout, tant s’en faut.
L’explication la plus probante est, avec l’arrivée du chemin de fer en Meuse et le développement du Paris d’Hausmann, une véritable hémorragie vers la capitale. On peut imaginer que la Meuse qui fournissait déjà à Paris pour la construction, la pierre, la fonte, le bois, a dû également fournir les ouvriers. Les villes meusiennes gagnent un peu, les campagnes se vident beaucoup. Surtout, ce sont les activités industrielles traditionnelles qui disparaissent si elles sont artisanales, et qui peinent faute de main d’œuvre si elles sont modernes.
Un plateau doucement négatif
De 1872 à 1906, la Meuse passe de 284 700 à 280 200 habitants. La chute en apparence est modeste. En réalité, le solde est complexe : le Meuse accueille près de 4 000 Alsaciens, Mosellans et s’enrichit des fortes garnisons de Verdun, Saint-Mihiel, Commercy et Bar. Richesse apparente qui s’accompagne d’une main d’œuvre immigrée employée à construire les forts Séré de Rivières.
Mais les apparences sont sauves et les responsables Meusiens peuvent ne pas être inquiets. En réalité, la sidérurgie Lorraine a porté un coup fatal à l’industrie Meusienne dont les derniers hauts fourneaux sont fermés en 1889 (Bradfer à Bar le Duc). La Meuse choisit le textile, le bois et l’agro-alimentaire et garde la métallurgie et la mécanique. Mais les villes Meusiennes ne grandissent que peu : Verdun a une vocation militaire ; la Meurthe et Moselle, du Pays-Haut à Nancy, absorbe les émigrés Mosellans, les immigrés italiens mais surtout les ruraux Meusiens pour développer son industrie lourde. Petite ville, Bar le Duc n’est pas en mesure de résister à l’attractivité de Nancy devenue « Capitale de l’Est ».
Le décrochage complet 1914-1945
Les deux guerres sont fatales à la Meuse qui perdra définitivement, en raison des conflits, plus d’un tiers de sa population, passant de 280 000 en 1906 à 180 000 en 1945.
Les Meusiens ne reviendront pas en Meuse après 1914. De 1926 à 1940, la population ne dépasse guère les 220 000 après un creux de 200 000 en 1920. En 1945, la population est tombée à 185 000 environ. 20 ans après en 1965, la Meuse ne dépasse pas les 215 000, mais le lent déclin reprend son cours en 1968 et jusqu’en 1999, date de la stabilisation actuellement constatée autour de 196 000.
Si l’on pouvait comprendre les difficultés immenses après la Grande Guerre et le miracle de cette reconstruction assurée avec énergie, dans les années 20, pourquoi les « 30 Glorieuses » (1945 – 1075) n’ont-elles pas permis à la Meuse de renouer avec le succès ? J’y vois pour ma part trois grandes raisons :
– Le développement Lorrain, sur le sillon Mosellan et les personnels civils des bases de l’OTAN en Lorraine ont proprement asséché les capacités de main d’œuvre de la Meuse. Le plein emploi est total jusqu’en 1973, date du premier choc pétrolier.
– De son côté, l’exode rural n’a pas dégagé beaucoup de main d’œuvre car l’agriculture a déjà évolué.
– Surtout, en l’absence de grandes villes, pas de tertiaire de haut niveau. La vieille industrie locale n’est pas adaptée aux créneaux modernes : aéronautique, pharmacie, défense, luxe. L’agro-alimentaire se maintient certes mais au prix d’une très forte productivité qui diminue le nombre des salariés. Les biens d’équipements de la maison ou de consommation courante sont évincés par les produits d’importation.
La stabilité actuelle
Satisfaisante en surface, la stabilité actuelle ne doit pas tromper. Elle repose sur deux réalités qui nous sont extérieures :
– Le développement en tache d’huile du sillon Mosellan, juste retour des choses
– L’allongement de la durée de la vie et l’attractivité de la Meuse pour les retraités souvent anciens Meusiens
Mais les points d’appuis pour l’avenir sont rares et il nous appartient de les énoncer.
Car si le nombre n’est pas une réussite en lui-même, le vide humain entraîne des difficultés cumulatives.
Des atouts à construire
1) L’espace libre, un atout exclusif de la Meuse dans une Europe active, saturée
– Espace naturel riche à valoriser en terme d’animations en s’appuyant sur le patrimoine historique et la qualité du service aux habitants et aux visiteurs
– Espace à rendre plus accessible (infrastructure routière et service TGV) et à rendre plus hospitalier (accueil occasionnel ou permanent)
– Une Meuse en réseau Lorrain, national et européen
– La Lorraine dispose des services haut de gamme (Nancy Metz Luxembourg) qui peuvent irriguer et aider tout l’est Meusien
– Bure nous branche sur Paris et les grands acteurs de la filière électronucléaire pour de nombreuses années. C’est un projet de long terme pour toute la Meuse, c’est une mission majeure de très forte ambition
2) S’il n’est de richesse que d’homme encore faut-il que :
– Les jeunes soient motivés et formés Et que les entrepreneurs soient soutenus et organisés en réseau