25 novembre, 2024

Intervention de M. Gérard Longuet, rapporteur spécial de la mission « Enseignement scolaire »

Texte présenté à la Commission des Finances ce matin : 

« Monsieur le Président/ Madame la Présidente, Madame la Ministre, Mes chers collègues,

  • En 10 minutes, je n’aurai pas l’ambition de me livrer à une étude scientifique de notre éducation nationale aujourd’hui. Je me garderai également de prétendre tirer un bilan exhaustif faute d’appréhender toute la complexité du système scolaire français en si peu de temps.
  • Mon approche sera donc celle de l’auditeur ou de l’analyste que doit être le rapporteur spécial de la commission des finances du Sénat.
  • Pour cela, je m’appuierai sur deux indicateurs : les comparaisons internationales au sein de l’OCDE et l’évolution dans le temps de la dépense globale d’éducation dans notre pays.
  • Les évaluations internationales sont désormais connues et reconnues. On peut ainsi penser aux études PISA menées par l’OCDE depuis près de 15 ans. Hier dénigrées, elles sont aujourd’hui prises en considération et le constat qu’elles nous livrent n’est pas à la hauteur des attentes du grand pays qu’est le nôtre : la stagnation, voire la baisse du niveau global des élèves français, la persistance voire l’accroissement des inégalités, les difficultés de plus en plus grandes des élèves à maîtriser les connaissances de base, la permanence d’un grand nombre de décrocheurs. Qui pourrait se satisfaire d’une telle situation ?
  • Face à ce constat, il convient de s’interroger sur les causes de cette « crise » de notre système d’éducation. La réponse la plus immédiate consiste à dénoncer la modestie des moyens. Or, nous dépensons autant et souvent plus que des voisins qui réussissent mieux ainsi qu’en témoigne, par exemple, la comparaison franco-allemande.
  • De plus, la dépense intérieure pour l’éducation, qui inclut la dépense de l’État, des collectivités, des ménages et des entreprises, a été multipliée par deux en euros constants depuis 1980. Par élève, elle est passée, toujours en euros constants, de 4 500 à 8 300 euros.
  • Or, force est de constater que cette augmentation des moyens ne s’est pas traduite pour autant, dans les faits, par une amélioration de notre système scolaire. Le quantitatif ne nous épargne donc pas désormais une réflexion plus qualitative sur les objectifs et les méthodes.
  • C’est pourquoi, au regard de la médiocrité du coût/rendement du système, il est du devoir des Parlementaires, qui votent le budget de la Nation, de rechercher d’abord les facteurs de surcoût spécifiques à notre pays et qui pèseraient sur la performance scolaire, expliquant ainsi nos résultats médiocres en comparaison.
  • J’en distinguerai trois :
  • La dispersion géographique, liée à la densité de population entraînant une dispersion de l’offre scolaire, quel que soit le niveau primaire et secondaire. Les comparaisons européennes ne doivent jamais oublier cette caractéristique française. De plus la démographie évolue inégalement par région et l’adaptation est couteuse pour notre budget national. Si la France par exemple est en moyenne plus jeune que l’Allemagne, certaines régions vieillissent, d’autres rajeunissent sans que l’adaptation des moyens n’accompagne suffisamment ces évolutions.
  • La richesse de l’offre d’enseignements qui se traduit par une dispersion couteuse des spécialités dans le secondaire. C’est un problème majeur dont la commission des finances n’est évidemment pas juge mais qu’elle ne peut que constater et constater avec force.
  • La dispersion des missions tant l’éducation nationale se trouve investie de missions éloignées de son cœur de métier. Je voudrais par exemple être certain que le préélémentaire propose un véritable enseignement préparatoire, constituant une « vraie porte d’entrée » vers le primaire afin qu’elle ne se limite pas à ce que ses détracteurs qualifient de « garderie » à bon marché.

Je ne reprendrai pas à mon compte ce terme. Mais l’éveil social, l’ouverture à la sociabilité, ou à la sensibilité artistique, pour importants qu’ils soient ne devraient pas relever de la seule éducation nationale et, les bonnes volontés sont les bienvenues, de la part des familles comme de la part des collectivités locales.

  • Mes chers collègues, la question centrale est donc bien celle-ci : l’éducation nationale a-t-elle vocation à corriger seule les faiblesses et les complexités de la société ? Je ne le crois pas, et en tous les cas, elle ne peut y parvenir seule. Je crois à l’élitisme républicain et surtout je le crois utile pour la société française.
  • C’est pourquoi certains dispositifs devraient, de ce point de vue, être davantage soutenus :
  • les internats, qu’ils soient d’excellence ou de la réussite, ou tout simplement d’accompagnement de la vie de l’élève dont la famille est éloignée ou absente.
  • l’enseignement en alternance qui permet aux jeunes de découvrir un milieu différent de leur famille ou de leur quartier, en appui de ce qui est enseigné par l’école.
  • le soutien scolaire sur place et dans les matières du socle en lieu et place des temps d’activité périscolaire si les familles et les élèves le demandent.

Il n’y a pas d’enseignement réussi sans valeurs partagées et l’humanisme républicain comme la redistribution des chances doivent être les références de tous les établissements. Et c’est le renouveau de l’établissement qui peut restaurer la confiance entre les élèves, les enseignants, les parents, les employeurs. Plus d’autonomie pour l’établissement, plus d’autorité pour son chef, c’est ma conviction.

 S’agissant du budget lui-même, la question majeure est bien celle des effectifs et de leur adaptation à leur mission :

La mission « Enseignement scolaire » est ainsi dotée pour 2015 de 66,4 milliards d’euros en crédits de paiement (CP), soit une progression de 2,21 % par rapport à 2014. Elle est composée à près de 93 % de crédits de rémunération des personnels qui s’élèvent pour 2015 à 61,5 milliards d’euros. L’essentiel de l’augmentation des crédits de la mission est donc due à la hausse programmée des effectifs et naturellement à la prise en charge du GVT. 9 561 postes devraient ainsi être créées en 2015, pour un coût estimé à plus de 125 millions d’euros, pour une fraction de l’année, sans doute correspondant à l’engagement, en réalité non tenu, du Président Hollande, alors qu’il était candidat.

  • La difficulté de recrutement à pourvoir tous les postes ouverts aux concours, le « turn-over » important des enseignants, le sentiment de solitude des enseignants très bien décrit par notre collègue Brigitte Gonthier‑Maurin dans un rapport de 2012 : Le métier d’enseignant au cœur d’une ambition émancipatrice prouvent que nos difficultés ne sont pas seulement quantitatives.
  • Les causes de ce sentiment de solitude sont bien connues : le délitement des relations de l’enseignant avec ses collègues, avec sa direction et dans la vie de l’établissement, la fuite des responsabilités tant du côté des parents que du corps enseignant.
  • Le statut personnel de l’enseignant est aussi financier. Les gouvernements précédents avaient fait des efforts par la mise en œuvre de mesures catégorielles permises à la suite de la diminution des effectifs et par l’usage des heures supplémentaires non fiscalisées.
  • Il serait injuste d’affirmer que le ministère reste indifférent au désarroi des enseignants. Ainsi, si le dispositif retenu m’apparaît complexe, la mise en place d’une formation initiale au sein des écoles supérieures de l’enseignement (Espé) me semble néanmoins justifiée et nécessaire. Le pouvoir d’achat individuel stagne quand il ne régresse pas en raison de la limitation des heures supplémentaires et leur fiscalisation.
  • Mes chers collègues, sur un budget de 66 milliards d’euros environ, un gain de productivité annuel de 1 % permettrait une économie de 600 millions d’euros chaque année. Est-ce possible ? Je l’espère à cet instant. Cet objectif doit être celui que la commission des finances et le Sénat pourraient retenir pour les 3 prochaines années. Cette année, faute d’approfondissement du dossier, nous n’y parviendrons pas, mais nous pourrions faire la moitié du chemin par une gestion plus maîtrisée des effectifs du secondaire.
  • Avec l’amendement que j’ai déposé au nom de la commission des finances et en accord avec M. Jean-Claude CARLE, Rapporteur de la Commission de la Culture, de l’Education et de la Communication, je veux alimenter le débat, la réflexion, questionner le dogme des moyens, celui de l’augmentation constante des effectifs. Je souhaite que le ministère de l’éducation nationale mène une politique plus rationnelle des ressources humaines, qu’il s’interroge sur les missions qui relèvent ou qui ne relèvent pas du champ de la politique éducative. Sous réserve de l’adoption de cet amendement, je vous proposerai d’adopter les crédits de cette mission.
  • La nouvelle majorité sénatoriale engage un travail de longue halein Je souhaite que nous puissions le conduire au‑delà de cet exercice budgétaire et, je crois aussi au-delà des clivages politiques.

Dans leur diversité, l’engagement des collègues de la commission des finances préjuge favorablement de la qualité du dialogue que nous aurons avec vous, Madame le Ministre. »