Séance du 17 avril 2015 (compte rendu intégral des débats)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission spéciale.
M. Vincent Capo-Canellas, président de la commission spéciale. Monsieur le président, je demande que l’amendement n° 115, tendant à insérer un article additionnel après l’article 54, soit examiné dès à présent, en priorité.
M. le président. Je suis donc saisi par la commission spéciale d’une demande d’examen en priorité de l’amendement n° 115.
Aux termes de l’article 44, alinéa 6, du règlement, la priorité est de droit quand elle est demandée par la commission saisie au fond, sauf opposition du Gouvernement.
Quel est, donc, l’avis du Gouvernement sur cette demande de priorité ?
M. Emmanuel Macron, ministre. Favorable.
M. le président. La priorité est ordonnée.
CHAPITRE III
INDUSTRIE
Article additionnel après l’article 54 (priorité)
M. le président. L’amendement n° 115, présenté par MM. Longuet et Adnot, est ainsi libellé :
Après l’article 54
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Au 2° de l’article 3 de la loi n° 2006-739 du 28 juin 2006 de programme relative à la gestion durable des matières et déchets radioactifs, la date : « 2015 » est remplacée par la date : « 2017 ».
II. – L’article L. 542-10-1 du code de l’environnement est ainsi modifié :
1° Après le premier alinéa, sont insérés trois alinéas ainsi rédigés :
« La réversibilité est la capacité, pour les générations successives, à revenir sur des décisions prises lors de la mise en œuvre progressive d’un système de stockage. La réversibilité permet de garantir la possibilité de récupérer des colis de déchets déjà stockés pendant une période donnée et d’adapter l’installation initialement conçue en fonction de choix futurs.
« Le caractère réversible d’un stockage en couche géologique profonde est assuré dans le respect de la protection des intérêts mentionnés à l’article L. 593-1. Des revues de la mise en œuvre du principe de réversibilité dans un stockage en couche géologique profonde sont organisées au moins tous les dix ans.
« L’exploitation du centre débute par une phase industrielle pilote permettant de conforter le caractère réversible et la démonstration de sûreté de l’installation, notamment par un programme d’essais in situ. Tous les colis de déchets doivent rester aisément récupérables durant cette phase. La phase industrielle pilote comprend des essais de récupération de colis de déchets. » ;
2° Après le troisième alinéa, sont insérés deux alinéas ainsi rédigés :
« – l’article L. 593-17 ne s’applique pas à la demande d’autorisation de création du centre. La mise en service ne peut être autorisée que si l’exploitant est propriétaire des terrains servant d’assiette aux installations de surface, et des tréfonds contenant les ouvrages souterrains, ou s’il a obtenu l’engagement du propriétaire des terrains de respecter les obligations qui lui incombent en application de l’article L. 596-22 ;
« – pour l’application des dispositions du titre IX du présent livre, les tréfonds contenant les ouvrages souterrains peuvent tenir lieu de terrain servant d’assiette pour ces ouvrages. » ;
3° Le quatrième alinéa est complété par deux phrases ainsi rédigées :
« Le délai de cinq ans mentionné à l’article L. 121-12 est porté à dix ans. Le présent alinéa ne s’applique pas aux nouvelles autorisations mentionnées à l’article L. 593-14 relatives au centre ; »
4° Après le sixième alinéa, sont insérés quatre alinéas ainsi rédigés :
« Lors de l’examen de la demande d’autorisation de création, la sûreté du centre est appréciée au regard des différentes étapes de sa gestion, y compris sa fermeture définitive. Seule une loi peut autoriser celle-ci. L’autorisation fixe la durée minimale pendant laquelle, à titre de précaution, la réversibilité du stockage doit être assurée. Cette durée ne peut être inférieure à cent ans. L’autorisation de création du centre est délivrée par décret en Conseil d’État, pris selon les modalités définies à l’article L. 593-8, sous réserve que le projet respecte les conditions fixées au présent article ;
« – l’autorisation de mise en service mentionnée à l’article L. 593-11 est limitée à la phase industrielle pilote.
« Les résultats de la phase industrielle pilote font l’objet d’un rapport de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, d’un avis de la commission mentionnée à l’article L. 542-3, d’un avis de l’Autorité de sûreté nucléaire et du recueil de l’avis des collectivités territoriales situées en tout ou partie dans une zone de consultation définie par décret.
« Le rapport de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, accompagné de l’avis de la commission nationale mentionnée à l’article L. 542-3 et de l’avis de l’Autorité de sûreté nucléaire est transmis à l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, qui l’évalue et rend compte de ses travaux aux commissions compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat. » ;
5° Le septième alinéa est ainsi modifié :
a) À la première phrase, les mots : « de réversibilité » sont remplacés par les mots : « d’exercice de la réversibilité du stockage pour la suite de son exploitation » ;
b) La seconde phrase est ainsi rédigée :
« L’autorité de sûreté nucléaire se prononce sur l’autorisation de mise en service complète de l’installation. » ;
6° Au huitième alinéa, les mots : « de création » sont remplacés par les mots : « de mise en service complète » ;
7° Le neuvième alinéa est supprimé.
La parole est à M. Gérard Longuet.
M. Gérard Longuet. Monsieur le président, ma satisfaction n’a d’égale que ma honte de passer devant d’autres collègues à cette heure avancée de la nuit ! (Sourires.)
Un amendement d’appel permet de connaître, sur la sollicitation d’un parlementaire, une intention du Gouvernement et d’en laisser une trace dans le compte rendu de nos débats, publié au Journal officiel de la République française.
Tel est précisément l’objet de cet amendement n° 115, qui a toute sa place pour satisfaire votre volonté de relancer l’économie française, monsieur le ministre, tant il est vrai que, sur le terrain difficile de la gestion des déchets nucléaires à haute activité et à vie longue, qui commande l’avenir de l’ensemble de la filière, le débat se trouve aujourd’hui paralysé par l’absence de dépôt de projet de loi traitant de la réversibilité du stockage souterrain desdits déchets.
La loi du 28 juin 2006 de programme relative à la gestion durable des matières et déchets radioactifs avait fixé une date limite pour autoriser la création d’un centre de gestion durable des déchets nucléaires de haute activité et à vie longue, projet aujourd’hui connu sous l’acronyme Cigéo. L’échéance a été fixée à 2015 ; nous y sommes, et le Gouvernement n’est pas à même de prendre aujourd’hui le décret prévoyant le stockage des déchets nucléaires, car cette mesure doit être précédée, à juste titre et en vertu de la loi précitée, de l’adoption d’un texte législatif – ce qui suppose évidemment un débat parlementaire – définissant la réversibilité.
Nous avons eu en 2013, sur ce sujet difficile, un débat public dont la Commission nationale du débat public a estimé qu’il s’était révélé utile. Ce débat a d’ailleurs modifié en partie le programme initial. Aujourd’hui, nous devons inscrire dans la loi ce que le législateur considère comme étant une exigence absolue en matière de réversibilité.
Ce texte est déjà connu, dans la mesure où il a été rédigé et déposé à l’Assemblée nationale par MM. Le Déaut et Bataille. Il est maintenant prêt à être débattu et aurait pu trouver sa place dans le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte ou dans votre texte, monsieur le ministre.
C’était d’ailleurs le sens de mon amendement, car, derrière ce projet, il y a un chantier immédiat occupant plus de 2 500 salariés, ainsi qu’un secteur économique qui emploie plusieurs dizaines de milliers de salariés et qui doit se trouver consolidé par ce maillon ultime de la chaîne de l’électronucléaire que constitue la gestion des déchets à haute activité et à vie longue.
Ce débat n’est pas ouvert et je n’ai pas l’intention à cet instant, à l’occasion de l’examen nocturne un amendement technique qui mériterait plus de temps pour que mes collègues se prononcent, de trahir la qualité de nos discussions.
Toutefois, monsieur le ministre, vous qui être chargé de l’industrie, pouvez-vous prendre l’engagement de présenter ce projet de loi au cours de l’année 2015 ? Grâce à ce délai raisonnable, nous pourrons éviter de maintenir dans l’attente et l’inquiétude l’ensemble des acteurs concernés, industriels certes, mais surtout populations locales ayant accepté ce projet d’enfouissement et manifestant le besoin de connaître la volonté effective du Gouvernement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Catherine Deroche, corapporteur. La commission spéciale sollicite l’avis du Gouvernement sur cet amendement, afin d’obtenir des réponses sur l’état du projet et sur les raisons qui ont poussé le Gouvernement à ne pas inscrire, comme vous l’avez rappelé à l’instant, mon cher collègue, ces dispositions dans le cadre du présent texte.
M. le président. Quel est, donc, l’avis du Gouvernement ?
M. Emmanuel Macron, ministre. Monsieur le sénateur, vous avez bien rappelé le cadre juridique dans lequel se situe ce projet. Il faut aussi tenir compte des territoires – ils nous sont familiers – qui ont pris leurs responsabilités au regard de ce projet.
Ayant eu le même débat à l’Assemblée nationale avec le député de la Meuse, j’ai conscience que certains élus sur le terrain, à côté des populations locales, ont eu le courage de prendre leurs responsabilités en soulevant cette question de l’enfouissement et de l’avenir industriel et minier de notre pays.
La volonté du Gouvernement consiste précisément à répondre à l’appel. Je l’ai dit très clairement, en tant que ministre, je m’engagerai sur ce sujet. Une loi a été adoptée en 2010, suivie d’un débat public en 2013. Il faut aller de l’avant, nous le devons à nos concitoyens qui sont pleinement concernés. On ne peut pas dire que l’on met en œuvre une politique responsable sur l’ensemble de la filière si l’on ne pose pas cette question, tout en considérant que cette solution n’est peut-être pas la seule en termes de retraitement : il faut poursuivre la recherche par ailleurs.
S’agissant de l’enfouissement, en raison de la multiplicité des sensibilités, le débat a été décalé et finalement reporté. Je peux d’ores et déjà vous assurer que nous voulons être au rendez-vous sur la question de Cigéo. Par conséquent, je n’avais même pas considéré votre proposition, monsieur Longuet, comme un amendement d’appel, et je m’apprêtais à émettre un avis de sagesse.
M. Gérard Longuet. Eh bien, pourquoi pas un scrutin public ?
M. le président. Monsieur Longuet, l’amendement n° 115 est-il maintenu ?
M. Gérard Longuet. Oui, je le maintiens, monsieur le président, compte tenu des explications que M. le ministre vient d’apporter, et même si j’estime que ce sujet aurait mérité d’être débattu à une heure permettant de plus amples discussions.
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.
M. Jean Desessard. Cette situation appelle deux remarques de ma part.
Premièrement – vous l’avez dit vous-même, monsieur Longuet –, il aurait été préférable que cet amendement soit examiné dans d’autres conditions…
Le Sénat est amené à se prononcer à cinq heures du matin sur la question de l’enfouissement des déchets radioactifs à vie longue. On peut franchement se demander si ce n’est pas fait exprès ! D’autant que cet amendement a même été appelé en priorité : certains auraient-ils jugé préférable que cet amendement soit abordé dans ces conditions ?
Peut-être l’issue du vote serait-elle la même dans d’autres conditions, mais il n’est pas normal qu’un sujet de cette nature, introduit par voie d’amendement, soit étudié de cette façon. Le procédé est donc un peu « limite ».
Deuxièmement, sans reprendre les divers arguments qu’il serait possible d’invoquer, je rappelle que l’enfouissement des déchets n’est pas encore au point et que, pour leur part, les écologistes proposent d’autres solutions.
Je le répète, cette question aurait mérité un véritable débat, préparé et argumenté. Il est cinq heures, et nous devons nous contenter d’une discussion totalement improvisée ! C’est très fâcheux – pour ne pas dire plus !
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote.
Mme Nicole Bricq. Monsieur Longuet, vous demandez au Sénat de se prononcer par scrutin public sur cet amendement au motif que le Gouvernement n’a pas pris un décret, contrairement à ses engagements. Cela revient à prendre le Parlement en otage !
M. Gérard Longuet. Il ne s’agit pas d’un décret, mais d’un projet de loi !
Mme Nicole Bricq. Peut-être faut-il mettre ce malentendu sur le compte de l’heure avancée, et même matinale…
L’enjeu est bien connu : il s’agit de la réversibilité. Ce dossier est très sensible, très politique…
M. Gérard Longuet. Il est technique !
Mme Pascale Gruny. Exactement !
Mme Nicole Bricq. Technique ? Cher collègue, il est à l’étude depuis 2006 !
Quoi qu’il en soit, je refuse d’être prise en otage sur un tel sujet,…
M. François Pillet, corapporteur. Madame Bricq, personne n’est pris en otage !
Mme Nicole Bricq. … alors même qu’il faudrait s’arrêter de travailler et renoncer à examiner, pour l’heure, d’autres amendements portant sur d’autres sujets !
M. le président. Madame Bricq, à cet instant, je n’ai été saisi d’aucune demande de scrutin public sur l’amendement n° 115.
M. Jean Desessard. Moi, j’en demande un ! (Murmures.)
M. le président. Allons bon !
M. Claude Raynal. Soyons raisonnables, reportons ce débat !
Mme Nicole Bricq. Mieux vaut repousser la discussion au mois de mai…
M. le président. Ce n’était peut-être pas une bonne idée de demander la priorité…
Alors, que faisons-nous, monsieur le président de la commission spéciale ?
M. Vincent Capo-Canellas, président de la commission spéciale. Monsieur le président, je vois que M. Longuet souhaite avoir à nouveau la parole. Même si la lettre du règlement l’interdit, serait-il possible de la lui donner une nouvelle fois ? Peut-être son intervention serait-elle à même de nous éclairer…
M. le président. Je vais faire une exception, surtout si cela permet de nous tirer de ce mauvais pas ! (Sourires.)
La parole est à donc M. Gérard Longuet.
M. Gérard Longuet. Je vous remercie, monsieur le président, ainsi que M. le président de la commission spéciale.
Madame Bricq, je comprends les remarques que vous formulez, mais je tiens à vous rassurer : il ne s’agit pas de contraindre le Gouvernement à prendre un décret, mais simplement de rappeler que la loi de 2006 a prévu la rédaction d’un projet de loi. Or les projets de loi relèvent du Gouvernement. Un tel texte ne pouvait être examiné qu’après l’organisation d’un débat public, lequel s’est tenu en 2013. Hélas, le Gouvernement ne l’a toujours pas présenté.
De leur côté, nos collègues députés Christian Bataille et Jean-Yves Le Déaut ont présenté une proposition de loi, que je soumets à mon tour au Sénat par le biais de cet amendement.
Monsieur Desessard, je suis sensible à vos arguments. Vous savez, je suis cette affaire depuis vingt ans. (M. Jean-Pierre Bosino s’exclame.) Je peux donc bien attendre vingt minutes, vingt heures ou vingt jours de plus, cela ne me pose aucun problème !
Si, nonobstant l’ouverture qu’il suggère, M. le président de la commission spéciale accepte que nous reprenions ce débat après l’interruption des travaux parlementaires, je l’accepte volontiers.
M. Vincent Capo-Canellas, président de la commission spéciale. Très bien !
M. Gérard Longuet. Je suis heureux d’avoir pu participer, depuis le début, à l’examen du présent texte, et tout particulièrement d’avoir pu défendre l’amendement n° 115. Toutefois, j’admets volontiers que ce sujet, compte tenu de son importance, ne doit pas être traité à l’heure où, on l’imagine, la lassitude gagne notre hémicycle…(Mmes Pascale Gruny et Sophie Primas applaudissent.)
M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que, à la demande de la commission spéciale, l’amendement portant article additionnel après l’article 54 a été appelé en priorité – cela signifie tout de même quelque chose, la priorité ! –, que le Gouvernement a donné son accord, que cet amendement a été présenté et débattu. Il ne me semble pas possible de reporter l’issue de cette discussion de quinze jours.
M. Gérard Longuet. Dans ce cas, votons !
M. François Pillet, corapporteur. C’est cela, au vote !
Mmes Catherine Deroche et Dominique Estrosi Sassone, corapporteurs. Oui !
M. le président. Monsieur Longuet, si vous confirmez le maintien de cet amendement, nous allons procéder au scrutin public.
M. Gérard Longuet. Très bien, votons !
M. Vincent Capo-Canellas, président de la commission spéciale. J’ai demandé la priorité au nom de la commission spéciale, et je ne me dédis pas.
M. le président. Je mets donc aux voix l’amendement n° 115.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe écologiste.
Je rappelle que la commission spéciale a sollicité l’avis du Gouvernement et que le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.