QUESTIONS D’ACTUALITÉ AU GOUVERNEMENT
- le président. Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, l’ordre du jour appelle les questions d’actualité au Gouvernement.
Je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur le site internet du Sénat.
J’appelle chacun de vous, mes chers collègues, à observer au cours de nos échanges une des valeurs essentielles du Sénat : le respect des uns et des autres.
SITUATION INTÉRIEURE À LA SUITE DES ATTENTATS DE BRUXELLES
- le président. La parole est à M. Gérard Longuet, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
- Gérard Longuet. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre.
À l’image de l’opinion française, le Sénat, unanime, se tourne vers le peuple belge pour exprimer sa compassion et sa solidarité au regard des atrocités qui se sont déroulées ce matin à l’aéroport et dans les transports en commun de Bruxelles.
Monsieur le Premier ministre, je m’adresse à vous avec respect et gravité.
Avec respect, parce que vous avez la charge du gouvernement de la France dans un moment d’épreuve. Vous avez la responsabilité de l’action, pour laquelle nous n’avons jamais négocié notre soutien, dès lors qu’il s’agissait de mesures d’organisation juridique ou financière.
Avec gravité, parce que, au terme du vote qui vient d’avoir lieu dans cette assemblée, nous voulons vous dire que cette urgence et cette déchéance sont au cœur de nos préoccupations : l’urgence, c’est l’action ; la déchéance, car le fonctionnement normal de nos institutions exige d’aller au bout du dialogue pour sceller le pacte républicain.
Ma question est la suivante : quelle initiative allez-vous prendre pour que, sur un sujet aussi important, qui rassemble et divise au-delà des camps, nous puissions donner à l’opinion l’image d’un Gouvernement et d’un Parlement capables de présenter une réforme unitaire, telle que nous l’avions souhaitée à Versailles le 16 novembre, et qu’il est encore possible d’obtenir si, respectant vos responsabilités constitutionnelles, vous vous efforcez de rapprocher les points de vue, et non pas de les opposer ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
- le président.La parole est à M. le Premier ministre.
- Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur le président, cher Gérard Longuet, comme le président Larcher a eu, voilà un instant, l’occasion de le dire, mes premiers mots et mes premières pensées vont naturellement vers Bruxelles, qui a été lâchement frappée ce matin par des attaques terroristes.
Je pense, nous pensons aux victimes, à leurs familles. Même si le Président de la République, les ministres des affaires étrangères et de l’intérieur, ainsi que moi-même, l’avons bien évidemment déjà fait, je veux de nouveau, ici au Sénat, assurer les autorités belges de notre soutien, de notre solidarité et, bien sûr, de notre amitié indéfectible.
Ces événements nous rappellent une fois encore tragiquement que nous sommes face à une menace globale. Nous sommes en guerre, comme je le dis depuis janvier 2015, en guerre contre l’islamisme radical, contre le djihadisme, contre le terrorisme, contre le fanatisme, et nous devons continuer à mener cette guerre avec détermination, et avec les armes de l’état de droit, de la démocratie, c’est-à-dire les lois que l’immense majorité des sénateurs et des députés ont votées.
Il y a eu deux lois antiterroristes, dont une dès l’automne 2012, que j’avais présentée ici même. Nous avions ensemble déjà détecté ce qui faisait la particularité de cette menace terroriste et de ce terrorisme, à savoir l’existence concomitante d’un ennemi extérieur et d’un ennemi intérieur.
Par ailleurs, nous avons fait voter deux lois sur le renseignement et apporté des moyens accrus à cette action. Jamais un gouvernement et un parlement n’avaient donné autant de moyens à nos forces de l’ordre et à nos armées pour lutter contre le terrorisme, mais il faudra aller encore plus loin dans la lutte contre la radicalisation, pour la justice et la sécurité de nos concitoyens, et accorder bien sûr des moyens encore plus importants.
C’est l’affaire d’une génération que d’engager une lutte de très longue haleine, très difficile – je le dis avec gravité et je vous remercie d’ailleurs, monsieur Longuet, du ton et des mots que vous avez employés – contre ces phénomènes de radicalisation, qui concernent aujourd’hui des milliers de jeunes en France.
C’est l’affaire d’une génération, qui devra faire l’effort de cette prise de conscience. Cette lutte nécessitera l’engagement de l’ensemble de nos services publics, mais aussi de la société.
Nous vivons une situation caractérisée par un niveau de menace jamais égalé, comme le ministre de l’intérieur le rappelait encore ce matin. Il faut une réponse à ce terrorisme qui nous frappe en France et en Europe, et celle-ci doit être européenne.
Ce terrorisme frappe les pays libres, les démocraties, les symboles, comme la Tunisie, le Mali, le Burkina Faso, la Côte-d’Ivoire. Face à ce terrorisme, il y a bien sûr nos valeurs, notre démocratie à opposer, et il n’y a qu’une réponse possible : l’unité.
Il s’agit bien sûr de l’unité avec nos amis belges, mais aussi de l’unité de tous les États de l’Union européenne face au terrorisme. Il faut que l’Union prenne toute sa dimension sur ce sujet, car une Europe de la liberté doit s’accompagner d’une Europe de la sécurité. À cet égard, comme nous avons eu l’occasion de le dire voilà un instant à l’Assemblée nationale, il est temps que le Parlement européen vote, par exemple, le dispositif de sécurité pour les passagers de compagnies aériennes, c’est-à-dire le PNR, car nous avons assez perdu de temps. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et républicain et du RDSE.)
Il s’agit enfin de l’unité de la nation française, telle qu’elle s’est manifestée en janvier et en novembre autour des symboles de la Nation, comme je le disais ici mercredi et jeudi derniers.
Cette unité et ces valeurs, nous les défendons en poursuivant le débat démocratique. Le Sénat vient d’adopter à son tour le projet de loi constitutionnelle de protection de la Nation, avec des modifications intéressantes pour ce qui concerne l’article 1er, et des changements substantiels pour ce qui concerne l’article 2. C’est la preuve que la démocratie suit son cours, dans le respect du bicamérisme. (M. Jean-Louis Carrère applaudit.)
Nous avons eu des débats et des discussions, qui ont révélé d’incontestables désaccords. Il faut chercher à rapprocher les points de vue, car ma conviction personnelle, que rien ni personne ne fera changer, est que, face au terrorisme, il faut non seulement des réponses en matière de sécurité et de protection des Français, donc en termes de moyens, mais également des réponses symboliques.
Comme vous l’avez dit, monsieur Longuet, ce débat a divisé, ou tout du moins a eu lieu dans les deux camps politiques, pour reprendre une terminologie trop guerrière. En même temps, il s’agit d’un débat passionnant et passionné, qui, contrairement à ce que j’entends, intéresse nos concitoyens, car nous nous posons ces questions que nous ne nous étions pas posées depuis des décennies : qu’est-ce qu’être Français dans ce moment-là ? Comment faire vivre la Nation, ce « plébiscite de tous les jours » ?
En ce qui me concerne, je considère qu’il faut continuer à avancer et à discuter, mais, monsieur le sénateur, il s’agit d’un débat non pas seulement entre le Gouvernement et le Sénat, ou entre la gauche et la droite, mais aussi entre le Sénat et l’Assemblée nationale.
Aussi, le Gouvernement, avec les présidents des assemblées, sous l’autorité du Président de la République, ne manquera pas de prendre des initiatives, à condition de savoir où nous allons pour trouver le chemin du rassemblement, question que je posais ici même voilà quelques jours.
Les Français attendent de nous le rassemblement et – je ne le dis ici en aucun cas comme une menace, mais comme une exigence – ils ne comprendraient pas, très sincèrement, que l’Assemblée nationale et le Sénat, la majorité et l’opposition, ne puissent se mettre d’accord sur ce qui fonde notre pacte républicain et national. Mesdames, messieurs les sénateurs, c’est à cette construction commune que je vous appelle.(Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Alain Bertrand applaudit également.)