Selon la tradition Gaulliste, mes amis Députés Républicains repoussent avec véhémence la perspective d’une part de proportionnelle pour désigner leurs futurs collègues. Ils feraient mieux pourtant de s’interroger sur la pertinence de maintenir le scrutin majoritaire à deux tours comme seule voie d’accès à l’Assemblée Nationale.
Toutes les raisons qui militaient en faveur de ce mode de scrutin durant la première moitié de cette belle sexagénaire qu’est devenue notre Vème République, ont peu ou prou disparues. Le nouvel environnement politique rend son maintien dangereux pour la liberté et l’indépendance politique des futurs législateurs.
Telle que voulue par Michel Debré, acceptée par le Général de Gaulle et largement ratifiée par le peuple français, notre belle sexagénaire est née sous le parrainage des fées bienveillantes du Parlementarisme rationalisé : le Président présidait, le Gouvernement gouvernait, le Parlement légiférait mais aussi, contrôlait le Gouvernement. En cas d’instabilités politiques confirmées, l’Assemblée pouvait être dissoute par le Président, mais seule une majorité absolue pouvait renverser le Gouvernement, contrairement à la IVème République défunte, ou les petites marges comptaient plus que les grands courants.
Trois cohabitations (86, 93, 97) ont confirmé cette évidence : le Président nomme le Premier Ministre mais il nomme celui et seulement celui que l’Assemblée peut politiquement accepter et pas un autre. En revanche, quelques départs spectaculaires voulus ou non, Chaban ou Chirac, Rocard ou Ayraud, nous prouvent qu’en cas de désaccord entre le Premier Ministre et le Président, les Députés préfèrent éviter la crise et la dissolution qui s’en suivrait ; ils renoncent ainsi à leur pouvoir politique et à leur responsabilité constitutionnelle.
Bref, le scrutin majoritaire a désigné des majorités stables en effet, qui elles, ont accepté des Gouvernements instables aux orientations contraires, mais voulues par le Président. Ces majorités n’ont pas exercé leur pouvoir, de crainte de la dissolution par nature imprévisible dans ses résultats, comme en témoigne 1962 ou plus près de nous, 1997.
Le Quinquennat et le calendrier législatif ont fait le reste : le scrutin majoritaire aux législatives conforte le Président fraîchement élu : « Il faut lui donner sa chance » nous disait-on en juin 2017, et le mandat de 5 ans devient alors pour les Députés un simple mandat de soutien ou de combat.
Bref, l’Assemblée est loyale au Président élu, mais elle n’est plus fidèle à sa mission Constitutionnelle : choisir, soutenir ou écarter le Gouvernement qui détermine et conduit la politique de la Nation.
Le scrutin majoritaire à 2 tours de 1958 est né d’une évidence : la force du Parti Communiste Français était telle qu’il arrivait en tête de la Gauche et mobilisait ensuite contre lui tous les modérés au deuxième tour. Tout au long des années 1958-1981, la droite gouvernementale a su s’organiser pour devancer le centre et l’obliger à voter pour elle contre une gauche dominée par le PCF. Ce système a volé en éclat en 1981, 23 ans après sa mise en place. Et avec la disparition progressive du PCF, l’effondrement en 89 du bloc soviétique, et l’émergence du FN, ce système s’est retourné contre la droite gouvernementale, sauvée miraculeusement de l’échec en 2002 par les divisions des gauches lors de la Présidentielle.
L’UMP, puis Les Républicains défendent un système dont ils ont de plus en plus de mal à tirer profit : ils n’ont ni alliés pour construire, ils n’ont plus de ralliés par la peur à l’instant du deuxième tour. Seul l’effondrement de la gauche socialiste en 2014 nous a permis de retrouver des couleurs en raflant communes, départements et régions. Mais, le même effondrement du PS en 2017, a donné à Emmanuel Macron, candidat, les voix venues de la gauche qui lui ont permis de devancer notre champion (par ailleurs tiré à vue par les médias pour des raisons non directement politiques). Le Président Macron a été largement élu au prix d’une parfaite ambiguïté.
Les européennes de 2019 devraient être révélatrices : serons-nous capables par notre résultat du printemps 2019 d’espérer être premier ou deuxième aux scrutins majoritaires à venir. C’est la condition essentielle pour espérer réussir au scrutin majoritaire à deux tours. Nous n’en sommes pas sûrs et avec la brutalité du scrutin majoritaire nous pouvons même disparaître.
Ainsi, hier, on accédait encore au deuxième tour mais pour être ensuite battus. Aujourd’hui, le risque est de ne plus être sélectionné !
Un autre point de vue nous est familier, habituellement pour défendre le scrutin majoritaire nous évoquons le lien personnel entre le candidat et ses électeurs ; on a pu mesurer en juin 2017 ce que pesait ce lien ! Pas grand-chose à l’époque de la Monarchie Présidentielle qui entraîne dans son sillage l’Assemblée. A fortiori avec des circonscriptions gigantesques doublant en pratique la taille d’aujourd’hui. Avec 24 % des voix aux Présidentielles, les « En Marche » ont raflé 54 % des sièges. Le service à l’électeur vaut encore pour une élection locale. Il ne vaut plus grand-chose pour les législatives qui se sont « présidentialisées ». Présidentialisation d’un instant de quelques semaines, ainsi qu’en témoignent les élections législatives partielles qui suivent de quelques mois seulement. Mais l’effet de cet instant d’enthousiasme pèse 5 ans !
Pour libérer l’Assemblée d’une telle dépendance, il y a des solutions :
- Elire l’Assemblée pour 6 ans avec un renouvellement d’un tiers tous les deux ans, ou d’une moitié tous les 3 ans, à la façon des Sénateurs Américains.
- Elire l’Assemblée à la proportionnelle et au scrutin majoritaire à un tour en donnant aux électeurs deux voix, à l’Allemande.
- Elire l’Assemblée pour 5 ans, entièrement à la proportionnelle, comme en 1986.
Dans ce dernier cas, constatons que pour les petits départements, jusqu’à 3 sièges à pourvoir, il s’agira alors d’une forme de scrutin majoritaire à un tour où les meilleurs de chacun des grands partis peuvent espérer siéger.
Seuls les très grands départements, au-delà de 6 sièges par exemple, favoriseront l’emprise des appareils. Mais avec la règle de D’Hondt, seules les grandes formations pourraient tirer leur épingle du jeu, surtout si le seuil est fixé à 5 % des inscrits, par exemple. Et là encore les appareils et la présence des formations marginales, surtout si l’on revient sur l’absurde interdiction de cumul avec un exécutif local, auront tout intérêt à chercher des candidats représentatifs et implantés.
Le grand gagnant de ce renouveau parlementaire serait le Premier Ministre qui retrouverait son rôle, celui de « tricoteur » de majorité. Car il est à peu près acquis qu’une formation fut-elle l’expression reconnue du Président élu n’aura pas la majorité des sièges à elle seule ! N’est-ce pas le Président Mitterrand d’ailleurs, qui rappelait en juin 1988 : « Il n’est pas bon qu’un parti politique ait la majorité à lui seul à l’Assemblée ! ». Mais a contrario aucune formation n’obtiendrait un résultat supérieur à celui de la formation présidentielle. C’est à cette dernière qu’il appartiendrait de construire des alliances. A cet instant, rappelons que les institutions de la Vème permettent au Gouvernement de gouverner dès lors qu’il n’a pas de majorité absolue contre lui.
La proportionnelle n’exclut pas la crise politique c’est sûr. Mais elle rend à chaque formation politique sa part du fardeau et donc sa dignité. Elle évite aussi au Président l’obligation de tout assumer, et à force de le faire, de s’épuiser bien avant les 5 ans du mandat. La solitude du Président triomphant l’expose plus qu’elle ne le protège et expose le pouvoir plus qu’elle ne le consacre.
Une réforme électorale qui restituerait l’obligation aux uns de négocier – l’exécutif – aux autres d’accepter le compromis – le législatif – et qui restituerait au Président sa seule vraie et légitime mission : présider, c’est-à-dire orienter, constituerait un pacte électoral respectueux des opinions et la constitution le permet toujours au Président. Le Président pourra toujours trancher par l’appel au peuple. Ni le Général de Gaulle, ni Michel Debré n’ont voulu cette monarchie parlementaire. Revenons au bon sens qui distingue l’autorité du Président et la très légitime vie des formations politiques et des groupes parlementaires qui la structurent et qui représentent l’opinion Française dans sa diversité.