Augustin Landier et David Thesmar viennent de publier « 10 idées qui coulent la France ». C’est un essai court, drôle, juste et imparfait. Imparfait en matière d’industrie.
Ce que veulent nos compatriotes, c’est une volonté démocratique qui ne soit pas démentie par la réalité de l’économie à chaque instant. Chacun d’entre nous est électeur, producteur et consommateur. Ce que les « Dix idées » dénoncent avec raison c’est l’illusion du « Y’a qu’à » assumée par l’Etat, notre bras séculier collectif. Un Etat stratège en France, une Europe qui ressemblerait à notre Etat national en plus grand, et naturellement une Gouvernance mondiale qui régulerait avec sagesse tous les marchés. Dans cette belle illusion géométrique, l’avenir d’Alstom en nous rappelant la modestie du pouvoir politique et la dure réalité des marchés mondiaux, dérange l’illusion d’un pouvoir national qui ordonnerait tout y compris l’industrie.
L’illusion rationaliste commune à gauche, fréquente à droite, doit être dénoncée, soit. Pour autant la politique doit parler d’Economie et le citoyen a le droit et le devoir de s’exprimer sur son statut de producteur et de consommateur dans un monde nécessairement et définitivement ouvert, un monde mondialisé ! En un mot, vouloir une industrie en France n’est pas malsain comme le décrète Landier et Thesmar. Il faut simplement en fixer les conditions et s’y tenir.
Posant le principe de la liberté du consommateur, à laquelle aucun citoyen ne songe à renoncer – encore que les dictateurs de mode de vie sont à tout instant avides de pouvoir, des écolos aux malthusianismes protectionnistes – et rappelant que pour acheter il faut vendre, le devoir du politique est clair : fixer les règles qui dépendent encore de lui (partiellement ou totalement), et elles sont innombrables, locales, nationales, européennes, mondiales, à un niveau qui permette au producteur local de travailler, d’investir, d’entreprendre dans des conditions compétitives. Un seul juge, la balance des paiements, sachant que des ajustements sont possibles, mais provisoires : endettement, cession d’actifs, par exemple.
Que cette balance soit équilibrée par nos ressources naturelles, notre industrie, ou nos services n’a aucune importance à court terme, en effet. A plus long terme, il serait fou de ne compter, par exemple, que sur des ressources précaires. Comme il serait fou de ne pas se poser la question de la France comme lieu d’accueil d’activités de services mondiaux : après tout pour les traders internationaux, Deauville, Saint-Tropez ou Courchevel – c’est-à-dire la France – valent bien Londres, Singapour ou New York, si les conditions professionnelles sont respectueuses de la liberté de travailler et si les impôts, au regard des services rendus, sont raisonnables.
Là n’est pas le sujet. On peut aimer les services et considérer que négliger l’industrie serait suicidaire pour l’équilibre de notre pays :
– D’abord parce que seule l’industrie peut se répartir sur l’ensemble du territoire là où les services « mondiaux » sont fortement concentrés à Paris et dans moins de 5 ou 6 métropoles Françaises.
Or le citoyen aime son territoire et il veut produire et consommer là où il a toujours vécu.
– Ensuite parce que la production industrielle vit en symbiose avec les services, comme elle est née de la réussite agricole du XIXème et XXème Siècle. Le tertiaire existant exige de nouveaux équipements et de nouveaux produits rendent le nouveau tertiaire possible.
La révolution numérique en est l’illustration : sans numérique, pas de services modernes, de l’information à la banque, de l’e-commerce aux centres d’appels ou au marché de l’audio-visuel illimité. Mais pas de numérique sans miniaturisation des composants et réseaux optiques.
Et pourquoi d’ailleurs ne pas produire différemment des produits traditionnels grâce au numérique et donc aux nouveaux services en économisant la main d’œuvre (prototypage rapide, impression 3D), ou produire des équipements nouveaux, hier marginaux, demain massifs et liés aux réalités locales comme la domotique ou les plats cuisinés à domicile. Car, pas de Suchis livrés à temps sans deux roues fiables, et pas d’économie d’énergie sans gestion optimisée de l’électricité, c’est-à-dire d’équipements nombreux et « intelligents ».
Il se trouve que les Français ont une tradition d’ingénieur plus qu’ils n’ont la culture du service ou du commerce. C’est une particularité qui peut être un handicap commercial mais un atout technique. Maîtriser une technique, dans l’aéronautique ou le béton précontraint permet de vendre dans le monde entier et donc d’acheter dans le monde entier. Les bureaux d’étude ont besoin aussi d’ateliers. Pas nécessairement pour livrer dans le monde entier. Mais pour garder la main. Nous sommes plus chers aujourd’hui que nombre de nos concurrents. Oui c’est vrai. Il faut aller plus vite pour fermer le passé et plus fort pour ouvrir l’avenir. C’est une affaire de droit, le droit du travail, c’est une affaire de droit fiscal, celui du capital.
Il faut simplement faire tomber le mur d’incompréhension qui sépare du citoyen, du producteur-consommateur-investisseur que nous sommes tous. Et à ce prix, l’industrie est un service rendu aux nombreux territoires de France qui ne seront jamais des métropoles du tertiaire de haut niveau. Alstom est encore là où ne seront jamais les services à très forte valeur ajoutée. C’est pourquoi, nous aimons l’industrie d’aujourd’hui, elle est consubstantielle à nos paysages des forges d’hier à l’assemblage d’Airbus, comme le sont nos champs cultivés, nos forêts entretenues, nos villes équilibrées et nos promenades sous les platanes. L’industrie est là où est la France. Et l’on aimerait que ses dirigeants et ses capitaux soient fidèles à nos paysages par raison et par passion.