Chaque jour progresse l’idée de la démocratie participative, et en corollaire, chaque jour s’efface la réalité de la démocratie représentative. En un mot, ceux qui participent à la vie collective, par des associations ou des expressions privées, ont de plus en plus de poids, d’autorité politique, sociale et médiatique. Ceux qui sont élus, au contraire, régressent en influence.
Certains s’étonnent même déjà que la démocratie participative n’exerce pas les pouvoirs que la loi a dévolu aux Présidents élus d’exécutifs municipaux, départementaux et régionaux, ou naturellement aux Parlementaires. C’est ainsi, par exemple, que va s’ouvrir en Meuse un « Débat Public » sur le projet CIGEO qui concerne le stockage souterrain des déchets nucléaires à forte intensité et vie longue. Or si ce débat doit éclairer, il ne prétend pas décider. Aussi des voix s’élèvent pour décréter son inutilité. C’est un profond malentendu, la participation au débat, ouverte aux citoyens, est le symbole d’une démocratie vivante. Mais la décision appartiendra aux élus en toute responsabilité, et c’est la logique d’une démocratie représentative : les «représentants» écoutent tous mais ils décident seuls. Parce qu’ils sont responsables d’abord et peuvent être sanctionnés pour leurs choix, bons ou mauvais. Ce qui n’est pas le cas des militants associatifs dont la représentativité et la responsabilité n’ont pas la même transparence. D’autre part les élus, s’ils ne sont élus que par une majorité, c’est vrai, ont en charge toute la population qu’ils représentent, ce qui doit les conduire au respect de principes généraux communs à tous. Tel n’est pas le cas des associatifs au contraire qui, à juste titre, veulent d’abord affirmer leurs différence et leur singularité, la passion de leurs adhérents
J’ajoute enfin que les élus parce qu’ils font vivre des structures durables qui leur survivront, et de loin, doivent ou devraient avoir une vision du long terme. Les « participatifs » vivent au rythme des passions, des découvertes, des enthousiasme, de l’immédiat, tout comme les médias d’ailleurs, dont ils sont les partenaires naturels.
Car en effet deux phénomènes durables rongent l’autorité de la démocratie représentative au bénéfice de la démocratie participative.
D’abord la présidentialisation de la vie publique : réputé en charge de tout, revendiquant ou non cette universalité, le Président doit dialoguer et ne peut le faire avec la seule classe politique : ses partisans le soutiendront toujours ou presque, ses adversaires le combattront toujours ou presque. Le succès depuis les accords de « Grenelle de 1968 » de toutes les tables rondes nationales procède de cela. Le Président ne prouve rien en entraînant ses partisans, et hélas, il ne peut pas dialoguer en profondeur avec ses adversaires. Tous les « Grenelle » pourvoient alors au besoin de dialogue, parce qu’ils se situent en dehors des règles représentatives, et exaltent les vertus participatives !
C’est donc un vrai problème qui pèse sur la classe politique : peut-elle recréer un dialogue sincère avec l’exécutif ? Si elle ne le peut, elle ne devra pas s’étonner d’être rangée dans le magasin des accessoires inutiles, que l’on ne mobilise qu’au seul moment du conflit, c’est-à-dire le temps des élections !
La seconde raison tient à la nature même du système médiatique : il reconnait de moins en moins à la classe politique le bénéfice de la compétence ou de l’expertise, qui par définition pour lui doit être non-partisan. Mais le système a besoin de témoins, d’auteurs, de conseils ou de pédagogues. Le monde associatif quadrille les médias. Les médias font appel aux personnalités politiques pour les « duels » – souci d’équilibre ou souci du spectacle – mais ils ne les mobilisent pas pour l’explication. La compétence est associative, le spectacle est politique. Or l’associatif est au moins aussi « partisan » que l’élu, et l’équilibre apparent des prises de parole politique contrôlées par un CSA sourcilleux, laisse un immense déséquilibre dans la présentation des opinions : les activistes de la démocratie représentative militante monopolisent les rendez-vous majeurs de l’actualité des idées sur les supports de masse, au détriment de ceux qui font la vie mais ne peuvent consacrer leur temps à la commenter !
C’est ainsi que le Patronat, par exemple, est envahi par les commentaires de ceux qui n’ont ni jamais investi, ni jamais dirigé une entreprise. Les scientifiques ont du mal à se reconnaître dans des jugements péremptoires et définitifs de témoins obligés. Même les Magistrats et les Policiers ne se retrouvent pas dans les caricatures qui sont données de leurs missions et de leurs avis par « les témoins de service ».
Heureusement l’immense diversité de l’offre médiatique et la recherche individuelle rendue possible par les réseaux internet, combattent efficacement, de mon point de vue, le prêt-à-penser.
Encore faut-il se poser la question de l’immense dispersion des informations accessibles qu’aucune réflexion construite ne vient relativiser ou nuancer. A devenir tous experts(1), que deviennent les vraies compétences : l’automédication en est une illustration. Entre la dictature des minorités organisées et la confusion du « Tous Prix Nobel » il y a la place pour le débat construit.
Ce débat a un nom : la politique, il a un cadre : les élections, il a des acteurs : les citoyens et leurs élus, il a un calendrier : local ou national et donc un rythme. Renouer avec la démocratie représentative qui est un hommage rendu au droit de tous à participer également et librement à un projet collectif est un devoir absolu. Maintenir des règles institutionnelles au débat collectif est la première condition pour construire un projet collectif Pour moi ce projet s’impose: la construction toujours à refaire de notre pays la France, dans cet espace Européen qui nous préserve de la marginalisation dans un monde ouvert dont nous ne serons des acteurs respectés que si nous sommes des citoyens engagés dans une vie publique sincère car seule cette dernière garantie la force d’une nation.
(1) C’est le succès du « Monde pour les nuls qui me réjouit d’ailleurs.