L’idée d’interdire tout cumul des mandats électoraux appartient à cette longue série de mesures irréfléchies adoptées pour sacrifier à la mode et à l’opinion et qui n’ont cessé de dégrader la qualité de l’action politique depuis l’élection du Président de la République au Suffrage Universel en 1962, en dégradant le statut de l’élu.
Longtemps le problème Français a été celui de l’instabilité politique qui paralysait les grandes décisions. Honni, le régime parlementaire de la IVème a cependant reconstruit la France d’après 1945, en restant fidèle aux alliés dans la « Guerre Froide », engagé la décolonisation et surtout, entrepris le projet européen.
La force de la Vème est d’avoir su trancher, dans la douleur, la question Algérienne et d’avoir poursuivi, et la modernisation de la France, et son affirmation internationale. Mais je constate que depuis 20 ans, c’est-à-dire depuis le referendum sur le Traité de Maastricht, aucun Président n’a su vraiment préparer la France aux conséquences inévitables et prévisibles d’une monnaie européenne commune. Dans un monde globalisé cette monnaie commune impliquant des mesures impopulaires qui vous font battre, que vous les annonciez ou que vous les engagiez effectivement, fusse à dose modérée. Trop longtemps si l’on excepte les temps forts du dernier quinquennat, elles seront reportées.
Naviguant au gré des sondages, les pouvoirs en place ou leurs oppositions résistent opiniâtrement à la tentation du courage. Cette acceptation tranquille de la facilité qui se traduit par des déficits de toute nature et de l’endettement croissant tient aussi au statut de l’élu.
Entre le mode de scrutin et la précarité de la carrière, il lui est difficile d’être courageux et il lui est presque impossible d’être publiquement intelligent. L’intelligence politique n’est plus suivie car les analyses et les propositions n’ont d’importance pour l’opinion et pour les médias que si elles sont portées par le Président ou les quelques présidentiables. Bien d’autres élus peuvent être et sont intelligents mais comme ils ne sont pas au cœur du pouvoir, leurs analyses sont « pour mémoire ». Pour un « Ni-Ni » Mitterandien ou une philosophie Corrézienne de l’Inaction, que pèse les alarmes de Rocard ou de Mendès, de Barre ou de Balladur ? Rien, parce qu’ils n’ont pas vraiment exercé le pouvoir. Seul l’avis Présidentiel compte. Les Parlementaires, si nombreux pourtant – près de 1000 – ne passionnent pas l’opinion, ils sont trop suivistes.
Ils n’exercent pas leur pouvoir, et de plus ils s’infligent double autocensure : Etre trop convaincu éloigne des responsabilités et mobilise contre vous les minorités actives si nécessaires au succès de tous les seconds tours. Prenons l’exemple de la TVA sociale, évoquée à 10 jours du 1er tour des législatives de 2007 par Jean Louis Borloo. Elle a coûtait sans doute à la droite 30 à 40 sièges de députés, alors que son évidente nécessité est reconnu aujourd’hui, y compris par Monsieur Gallois.
Au moins le cumul des mandats permet de résister aux modes et humeurs de l’opinion. Battu en 1997 dans ma circonscription de Bar Le Duc – Commercy, je retrouvais un an après une majorité aux Régionales. Une humeur de l’opinion aux législatives était ainsi surmontée, grâce au soutien de la Région.
En l’absence de cumul, Mitterrand aurait disparu en 1958. Et c’est parce qu’il n’exerçait aucun mandat local significatif que Jospin, battu en 1993, demanda a son employeur, Alain Juppé, Ministre des Affaires Etrangères un poste d’Ambassadeur….. qui l’aurait privé de Matignon en 1997 s’il l’avait obtenu !
Car au-delà de l’apprentissage permanent qu’apporte le mandat local au parlementaire national, nous suivons des parcours qui exigent compétence et indépendance, parfaitement incompatible avec la précarité des mandats uniques.
On me dira mais c’est le cas partout ailleurs, en Allemagne d’abord. Mais dans la plus part des démocraties européennes le scrutin parlementaire est proportionnel. La proportionnelle met les parlementaires fortement impliqués dans la vie nationale à l’abri d’un ballotage incertain lors des seconds tours.
Quant à l’Angleterre, majoritaire à un tour certes, elle place aussi ses parlementaires à l’abri des chantages des minorités turbulentes du second tour et pour cause il n’y en a pas. Mais ce système est violent pour les élus, qui en revanche peuvent s’appuyer sur des partis structurés, aux vies internes démocratiques. Le parlementaire britannique est précaire, mais au moins, il exerce le pouvoir et n’est pas censuré par la discipline « Présidentielle » ou la dictature des opinions fluctuantes des seconds tours.
Le candidat britannique doit d’abord et avant tout mobiliser son camp, tour unique oblige, alors que le député Français devra mobiliser son camp certes, mais sans fédérer contre lui toutes autres opinions, de peur de perdre inéluctablement le second tour, ce qui, reconnaissons le, est souvent le cas des candidats UMP.
Le cumul des mandats en France, fortement limité désormais est un facteur de stabilité, sans laquelle des candidats de talents hésiteraient plus encore qu’ils ne le font aujourd’hui, à épouser la carrière politique.
Que les électeurs, librement aux élections locales, choisissent un « temps plein » ou un « temps partagé », c’est leur choix. Des grandes villes peuvent vouloir des maires à temps plein, ou tout du moins des maires peu actifs à Paris, mais disposant cependant des entrées nécessaires auprès des administrations centrales.
Des territoires moins avantagés acceptent le partage du temps avec Paris, considérant que le patron de l’exécutif local peut relayer son action sur le terrain par ses Vice-présidents ou ses Adjoints, mais fera rejaillir par son entregent Parisien et National des bienfaits pour sa terre d’élection.
En un mot, laissons électeurs et élus choisirent au mieux dans la diversité des situations ce qui leur convient. En refusant cette liberté, en maintenant la précarité de l’élu, le Parlement sera composé demain d’apparatchiks heureux de leur statut – en vérité modeste – de parlementaire, mais sans liberté vis-à-vis des appareils nationaux et sans relais pour agir sur le terrain, avec et pour leur électeurs. Sans fiefs et sans carrières libres, ils seront des employés des Partis et non des élus du peuple.
La République ne gagnera certainement pas en courage, entre un exécutif paralysé par la crainte de l’opinion et des parlementaires sans autre légitimité que d’avoir été investi par les appareils nationaux dont ils seraient en fait de simples employés. Le courage des uns mérite sinon la sécurité de l’emploi, du moins le soutien du travail local. Ce qui implique le maintien du cumul raisonnable.