Mon collègue et ami Bruno Le Maire s’est exprimé dans Libé il y a quelque temps au sujet du rapport Jospin.
Par BRUNO LE MAIRE Ancien ministre de l’Agriculture, député (UMP) de la 1re circonscription de l’EureLes Français ne font plus confiance à leurs élus. Notre démocratie ne peut pas se résigner à ce divorce. Un renouveau profond de nos pratiques démocratiques est donc nécessaire.
Non, Lionel Jospin n’a pas saisi l’occasion de proposer ce renouveau. Son rapport propose des réformes nécessaires, mais elles ne suffiront pas à convaincre les Français. Car il ne traite pas les problèmes de fond de notre démocratie : le manque de renouvellement des élus, la consanguinité de la fonction publique et des responsables politiques, le nombre excessif de niveaux administratifs et donc de leurs représentants, l’absence de statut des élus.
Oui, il faut encadrer strictement le cumul des mandats. Un maire, un député ou un sénateur, doit se consacrer pleinement à sa mission. Il en va de sa crédibilité. Il en va aussi de son exemplarité devant des citoyens qui, eux, exercent un seul métier et touchent une seule rémunération. En retour, les élus nationaux doivent disposer de moyens réels de contrôle du gouvernement et de proposition législative : nous en sommes encore loin. Réduire leur nombre, en passant par exemple de 577 à 450 députés, permettra de renforcer leurs équipes à coût budgétaire constant. Nous sommes aujourd’hui 925 parlementaires, contre 535 aux Etats-Unis et 700 en Allemagne. Ce n’est pas dans le nombre des représentants de la Nation, mais dans les moyens qui leur sont alloués que se mesure l’esprit démocratique.
Un statut des élus, grand absent des propositions Jospin, doit permettre à des profils nouveaux de prendre le risque de la politique et à un maire d’exercer son mandat dans des conditions matérielles acceptables.Mais d’autres réformes sont tout aussi nécessaires. Il devient d’abord urgent de faire évoluer les structures de la république française aux exigences de lisibilité et de simplicité de la démocratie. La France ne peut plus empiler les échelons décisionnels. Les départements et les régions doivent fusionner. Les prérogatives des régions doivent être renforcées pour conduire et piloter les politiques économiques. La vie quotidienne de nos concitoyens doit être du ressort des communes et des structures intercommunales. Des élus moins nombreux, mais plus légitimes et plus responsables, voilà la voie de renouveau que je propose.
Autre impératif : le renouvellement du personnel politique. A cette fin, je propose la limitation des mandats nationaux à trois mandats successifs, ce qui permettra à un député de rester quinze ans en fonction, et dix-huit ans pour un sénateur. Pourquoi limiter à deux les mandats du président de la République si on ne limite pas les mandats des élus nationaux ? Pourquoi s’en tenir à la question du cumul, quand celle du nombre de mandats est tout aussi cruciale pour la diversité et la parité de notre vie politique ?
Enfin, nous devons en finir avec le mélange des genres entre la fonction publique et le monde politique. La réalité est sans appel : le président de la République, le Premier ministre, les deux tiers du gouvernement et 35 % des députés sont issus de la fonction publique. Triste vérité, notre démocratie est inéquitable : les uns sont protégés par leur statut et peuvent affronter sans crainte les aléas de la vie politique, les autres sont exposés à la perte de leur emploi et doivent donc renoncer à un engagement public. Triste vérité, notre démocratie est inefficace : elle se prive des compétences de tous ceux qui connaissent le mieux la compétition mondiale et ses exigences. Triste vérité : notre démocratie est devenue une aristocratie, où le statut de fonctionnaire vaut titre de noblesse.
Les fonctionnaires, légitimement attachés à leur indépendance, sont les premiers à souffrir de cet esprit de caste. Tous, ils souhaitent que la fonction publique redevienne ce qu’elle a toujours été en France : un corps de personnels qualifiés au seul service de l’intérêt général. Est-il besoin de rappeler qu’en Grande-Bretagne, un fonctionnaire démissionne avant de se présenter à une élection ? Qu’en Allemagne, un député nouvellement élu doit remettre immédiatement sa démission de la fonction publique ? Pour rompre ce lien entre fonction publique et élus, je propose de créer la même obligation en France : tout élu au Parlement devra remettre sa démission de la fonction publique. Il y a deux semaines, j’ai démissionné du corps de conseiller des affaires étrangères. Pour mettre mes actes en conformité avec mes convictions.
A gauche comme à droite, engageons-nous tous pour recréer le lien de confiance entre les Français et leurs représentants. Notre démocratie est malade. Nous ne pouvons pas nous contenter de mesures de circonstances. A nous, élus, de refonder notre bien le plus précieux, notre démocratie, dans le sens de l’indépendance de chacun, du respect de tous et d’un engagement déterminé au service de notre Nation.
Voici ma réponse :
Mon cher Bruno,
Tu as donné dans « Libé » ta lecture du rapport Jospin et tes voies pour rétablir la confiance entre les Français et leurs élus. Je ne partage pas, une fois n’est pas coutume, ni ton diagnostic, ni donc tes solutions.
Le problème Français est d’abord celui des Parlementaires, Députés et Sénateurs qui ne font pas leur travail. Mais la raison, hélas, en incombe principalement et sans doute exclusivement à la Présidentialisation extrême qu’ont suscité à la fois le quinquennat, le calendrier des législatives, le mode de scrutin législatif et naturellement, dans une société hyper médiatisée, la place exclusive du Président dans l’opinion. Les parlementaires se sentent et sont ressentis comme marginaux.
Oui, comme tu le souhaites, il vaudrait mieux moins de Députés, moins de Sénateurs, mieux payés et mieux soutenus. Mais si la décision législative – loyauté présidentielle oblige – leur échappe en fait et non en droit, cela ne changera rien.
Pour avoir des Parlementaires libres, il faut des Hommes libres ne dépendant pas exclusivement de leur appartenance au camp victorieux. Il leur faut, en terme de carrière, à la fois des espérances, qui ne soient pas exclusivement gouvernementales et des sécurités qui impliquent une diversité des appuis.
Les trois mandats parlementaires successifs maximum sans aucun cumul local que tu proposes conduiront à la prolétarisation et la précarisation du Parlementaire. En politique, la compétence née de la réflexion, de l’exercice des responsabilités, de l’expérience, n’est pas un inconvénient, seul le cumul et la durée les permettent.
Si la vie parlementaire se résume à une parenthèse de 15 à 18 ans dans une vie professionnelle, sans cumul, deux questions se posent :
– Que faisait-il avant d’être élu pour accepter une condition aussi précaire ? Sans doute rien d’important, car sinon il ne sacrifierait pas une carrière prometteuse pour un statut incertain.
– Que fera-t-il après ? Il ne sera plus fonctionnaire, c’est écrit. Mais le secteur privé ne le recrutera pas plus par manque d’expérience pratique. Il deviendra donc conférencier pour le Rotary ou animateur de colloque. C’est honorable mais on n’en vit pas.
Il reste une hypothèse : Ne seraient candidats que des futurs retraités ou de récents retraités qui tentent une fin de carrière différente. Mais ne compte pas, Mon cher Bruno, sur de vraies réussites professionnelles cherchant un accomplissement dans la vie publique : le statut de l’élu est trop exposé et trop dépouillé de moyens pour que de grandes réussites acceptent de s’y impliquer.
Seul un vrai régime présidentiel séparant les destins parlementaires et présidentiels permettrait de relever le statut des élus. C’est le cas du Sénat Américain. Cela passe par des calendriers décalés et sans doute des modes de scrutins différents. Nous en sommes loin.
Pour garder des parlementaires qui soient des personnalités reconnues, il faut leur permettre de trouver sur le terrain les satisfactions, les soutiens et les leçons qui en font des Hommes plus libres que ne le seraient les « employés politiques » auxquels nous conduit le rapport Jospin.
Un point supplémentaire que tu n’as pas évoqué. Le chapitre sur les conflits d’intérêt du même rapport. Il y a un profond malentendu car si les élus sont tenus de respecter la loi, ils ne s’apparentent en rien aux fonctionnaires de l’Etat. Les élus sont des Hommes de convictions et de passions. Ils défendent naturellement d’abord ceux qu’ils ont mobilisés dans les campagnes électorales, par affinité de territoire, d’opinions ou même d’intérêts. Il y a des élus du rural et de l’urbain, des syndicats et des entrepreneurs, de la paix ou de la défense, de l’Europe ou du marché fermé. Si les élus doivent respecter la loi votée, avant qu’elle ne le soit, lorsqu’ils la préparent, ils doivent respecter leurs convictions et tenir compte de leurs engagements électoraux. Ils n’ont d’ailleurs pas, à proprement parler, de pouvoir personnel. Les votes des Députés et des Sénateurs, sont publics, argumentés et naturellement dilués par le nombre. Les parlementaires ne gèrent pas des exécutifs. Ils ne signent aucune autorisation, aucun permis, aucun avantage. En un mot, ils n’ont pas de pouvoir individuel et il faut cesser de les imaginer cherchant à vendre quoi que ce soit.
La plupart s’appauvrissent dans leur mandat faute des vrais revenus professionnels auxquels ils pourraient prétendre et auxquels ils renoncent alors que leur vie quotidienne, entre les déplacements et les contraintes incontournables, est coûteuse. Certes ils gagnent plus que la moyenne des Français, mais beaucoup moins que les « Consultants Séniors » qu’ils sont d’une certaine façon. Alors ayons le courage de le dire si l’on ne veut pas, là encore, d’une classe politique d’employés d’appareil sans autres ambitions que de récolter, la durée d’un mandat, un statut en contre partie d’un dévouement à leur machine politique.