22 novembre, 2024

Loi travail : nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs ?

23 juin - Sénat

Ce matin je suis intervenu en séance lors de la discussion de l’article 30 de la Loi Travail.

ARTICLE 30

Mme Laurence Cohen . – Cet article assouplit la définition du motif du licenciement économique. Depuis trente ans de nombreux coups de boutoir ont déjà été apportés au code du travail sans diminuer le chômage.

Cet article autorise les licenciements pour motifs financiers ; la réalité des difficultés sera appréciée sur une base nationale : une entreprise qui réaliserait des bénéfices à l’étranger pourra licencier en France. De plus, la période d’appréciation est restreinte à deux semestres et le contrôle du juge limité à l’absence de fraude.

Nous proposons plutôt de renforcer le rôle de la négociation collective et de donner un droit de veto du comité d’entreprise sur les suppressions de postes. Vous l’avez compris, nous sommes très défavorables à cet article.

 

Mme la présidente. – Amendement n°24 rectifié bis, présenté par Mme Lienemann, MM. Durain, Godefroy, Cabanel, Gorce et Montaugé, Mme Ghali et MM. Courteau et Masseret.

Supprimer cet article.

M. Jérôme Durain. – Avec le taux de majoration des heures supplémentaires, les critères des licenciements économiques sont un des éléments qui inquiètent le plus les Français dans ce projet de loi.

Une baisse des commandes ou du chiffre d’affaires peut aisément être orchestrée. Le regard d’un juge n’est donc pas superflu. Nous ne sommes pas favorables non plus à une différenciation en fonction du nombre de salariés.

Autre réserve : la réduction au territoire national du périmètre d’appréciation : un groupe peut reporter ses résultats entre filiales pour justifier des licenciements.

Mme la présidente. – Amendement identique n°56, présenté par M. Watrin et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.

M. Dominique Watrin. – La liste limitative des critères de licenciements économiques contraint excessivement le pouvoir d’appréciation du juge. Les entreprises transnationales pourront continuer à mettre les pays en compétition et à licencier en toute facilité, comme on l’a vu chez Continental ou Goodyear. Un groupe florissant pourra licencier au motif que le chiffre d’affaires de sa filiale française est en baisse. C’est la porte ouverte à toutes les manipulations de chiffre d’affaires par le jeu notamment des prix de transfert. La crainte de M. Mailly est justifiée !

Mme la présidente. – Amendement identique n°921 rectifié, présenté par Mme Malherbe, MM. Amiel, Bertrand et Guérini, Mme Jouve et M. Vall.

Mme Hermeline Malherbe. – L’amendement est identique mais pas son motif : nous regrettons pour notre part que les critères avancés soient trop soumis à appréciation.

L’article 30 intègre, à côté des difficultés économiques et des mutations technologiques, le motif de licenciement tiré d’une nécessaire « sauvegarde de la compétitivité », et celui de la « cessation d’activité », que la jurisprudence reconnaît déjà. Les critères de licenciement économique sont trop vagues et soumis à interprétation. Ainsi, les pertes d’exploitation s’apprécient au seul regard du chiffre d’affaires. Or il est facile de manipuler les flux de trésorerie en concentrant toutes les dépenses sur une courte période.

M. Jean-Marc Gabouty, rapporteur de la commission des affaires sociales. – En cas de difficulté, plus l’entreprise peut réagir rapidement, plus elle peut restaurer sa compétitivité, ce qui peut éviter des licenciements plus massifs ensuite. Nous partageons la philosophie du texte sur ce point, madame la ministre, mais nous divergeons sur la rédaction de l’article. Votre rédaction initiale était très attractive et séduisait davantage les responsables patronaux que la nôtre, qui sécurise mieux le dispositif.

Aucun des critères évoqués par le texte, pris séparément, ne permet de qualifier des difficultés économiques. Ni la « baisse significative de rentabilité », difficile à définir, ni la baisse du chiffre d’affaires, ni les difficultés de trésorerie. C’est un faisceau de critères qu’il faut considérer.

Mme la présidente. – Il est temps de conclure.

M. Jean-Marc Gabouty, rapporteur – Je réponds à trois amendements, je dispose donc du temps de trois réponses.

Mme la présidente. – Mais non : ils sont identiques !

Mme Myriam El Khomri, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. – J’ai conscience de la charge anxiogène qui entoure la notion de licenciement économique. Regardons les choses en face : le flou juridique actuel a pour conséquence que neuf embauches sur dix se font en CDD. Dans les TPE, les patrons préfèrent la rupture conventionnelle aux licenciements économiques, qui ne sont responsables que de 5 % des inscriptions à Pôle emploi.

Baisse de commandes, du chiffre d’affaires ou de la trésorerie, les critères retenus par le texte sont ceux que la jurisprudence a dégagés. L’enjeu est de clarifier la procédure. Les chefs d’entreprise n’embauchent pas dans le but de licencier ensuite ; ils mesurent la difficulté de retrouver du personnel qualifié. Mieux vaut donc un cadre sécurisé qu’un droit sauvage ! Quand 360 000 ruptures conventionnelles ont été enregistrées l’an passé, j’y vois le signe d’un contournement des procédures de licenciement.

Cet article est aussi dans l’intérêt des salariés, dont il sécurise le parcours professionnel.

Le Gouvernement entendait codifier la jurisprudence et donner des repères clairs tant aux entreprises qu’aux salariés, pour faciliter les recrutements en CDI. C’est pourquoi nous avons refusé de définir les critères par décret, préférant un recours encadré au juge. Avis défavorable à vos amendements.

Mme Nicole Bricq. – Dans sa majorité, le groupe socialiste ne votera pas cet amendement de suppression.

Jusque-là, la chambre sociale de la Cour de cassation a littéralement fait le droit en matière de licenciement économique, elle n’en a pas été l’interprète. Le législateur doit reprendre la main.

Deuxième raison de notre refus de ces amendements : nous voulons débattre de ces questions, sur lesquelles les positions de la gauche et de la droite diffèrent largement. La commission conteste les critères pour faciliter les licenciements et est revenu au périmètre national. Ce n’est pas notre voie.

M. Gérard Longuet. – Mme Bricq a raison quand elle dit que le législateur doit prendre ses responsabilités et que les visions de la droite et de la gauche divergent.

Si nous suivons la position des communistes, en revenant au périmètre mondial, nous dissuaderons les entreprises d’investir en France. Alors que les investissements industriels étrangers représentent 20 à 25 % de l’emploi de notre pays, ce serait criminel !

Quelle serait notre réaction si une entreprise française de taille mondiale se voyait imposer des règles comme nous voulons imposer ? Nous nous plaignons de la propension des Américains à vouloir imposer leur droit au monde entier et, lors de la conclusion de la convention de Marrakech fondant l’OMC, nous avons échoué à introduire une clause sociale.

Aux communistes, je dis : « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! » : que les syndicats s’entendent à un niveau international. (Applaudissements à droite)

M. Dominique Watrin. – En dépit des différences entre la commission et le Gouvernement, la logique reste la même : faciliter les licenciements pour des motifs discutables. La réalité est que depuis des années des centaines de milliers d’emplois ont été perdus pour des raisons financières. À Calais, Danone a rayé de la carte une usine rentable de biscuiterie. À Hénin-Beaumont, ce sont 3 000 emplois directs et indirects qui ont été supprimés. Tout cela sans cause économique, uniquement pour des raisons financières, à Métaleurop et ailleurs.

M. Jean Desessard. – Madame la Ministre, je trouve votre argumentation spécieuse. (Protestations à droite) Certes la procédure des ruptures conventionnelles donne lieu à des abus, mais elle n’est pas « sauvage » en tant que telle. Personnellement, j’y suis favorable. Vous prétendez qu’un licenciement économique sera meilleur pour le salarié au motif que celui-ci sera accompagné. Mince différence.

Ce qui déplaît au Medef, c’est les actions en justice qui s’éternisent. En réalité, ce texte n’est pas pour les salariés, mais pour les entreprises. Dites-le clairement !

Mme Annie David. – Très bien !

M. Alain Néri. – Tout licenciement constitue d’abord un drame humain, que les indemnités chômage ne compensent jamais, parce qu’un licenciement est vécu comme une dégradation, une atteinte à la dignité. Les ouvriers veulent avant tout s’intégrer dans un collectif. Pour s’investir, pour aimer leur entreprise, les salariés doivent avoir la garantie de la durée de l’emploi. C’est aussi un facteur de compétitivité !

M. Martial Bourquin. – Les difficultés structurelles peuvent être organisées : j’ai vu un groupe délocalisé en Chine, au détriment de ses implantations en France avant de les fermer complètement et de licencier tout le monde, invoquant des difficultés françaises.

Il faut distinguer les grands groupes et les PME. Sans angélisme. Monsieur Longuet, les grands groupes investiront en France pour notre savoir-faire, pour nos infrastructures, parce que nous avons l’une des meilleures productivités au monde. Pas pour pouvoir licencier !

Il est fondamental que le juge puisse faire la part entre les difficultés réelles et celles qui sont organisées intentionnellement.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. – Tous ici, que nous soyons de droite ou de gauche, nous nous battons pour sauvegarder l’emploi. Parfois cela réussit. C’est ainsi qu’avec le concours du ministre de l’époque, Gérard Larcher, j’ai réussi à réduire des licenciements dans une filiale de Rhodia. Mais la réalité nous rattrape toujours ; l’enjeu c’est la productivité, la compétitivité. Face à cela, le juridisme ne sert à rien. Je voterai contre cet amendement de suppression. Il faut laisser au juge son pouvoir d’appréciation.

Mme Myriam El Khomri, ministre. – Je le répète : cette loi est bonne pour les entreprises et aussi pour les salariés. La procédure des ruptures conventionnelles donne lieu à des abus : les petits patrons, qui n’ont pas à leur service une grande DRH et son armée de juristes, préfèrent l’utiliser craignant les incertitudes entourant la procédure du licenciement économique. L’enjeu est que les licenciements soient justifiés, en fonction des difficultés réelles des entreprises. Les salariés sont mieux protégés dans le cadre de la procédure de licenciement économique.

Si 8 000 emplois sont détruits chaque année à cause des délocalisations, 30 000 sont créés simultanément grâce aux investissements étrangers. Le Gouvernement avait initialement préféré le périmètre national, et l’avait assorti de garanties. Nous avons entendu les inquiétudes des syndicats. Les grands groupes ont aussi une responsabilité sociale. C’est pourquoi nous avons rétabli le périmètre en vigueur.

Ce texte est destiné avant tout aux PME, dont les chefs ignorent les critères des licenciements économiques et multiplient les licenciements pour motif personnel. Les PME ont besoin de sécurité juridique. Les grands groupes ont beaucoup plus souvent recours aux plans de sauvegarde de l’emploi. Les PME préfèrent embaucher en CDD qu’en CDI car elles ne maîtrisent pas les subtilités du droit du travail.

Je vous rassure enfin, si les critères que nous précisons ne sont pas remplis, le juge pourra refuser un licenciement ; il ne perd aucunement son pouvoir d’appréciation des difficultés de l’entreprise.

M. Jean-Marc Gabouty, rapporteur. – Un mot pour préciser nos désaccords. Selon votre rédaction, un seul des critères pourrait justifier les licenciements : c’est la porte ouverte à tous les abus. Par sécurité juridiques, nous considérons que le juge doit se prononcer en fonction d’un faisceau d’indices. Enfin, le recours au juge n’exclut pas le recours à des experts.

M. Yves Daudigny. – Les restructurations et les licenciements constituent des drames humains et sociaux. Mon département a été marqué par la fermeture des sucreries et des chaudronneries. Toutefois, je ne voterai pas ces amendements de suppression car il faut surtout éviter de laisser le salarié seul, en face à face, avec son patron.

De manière bienvenue, le Gouvernement prévoit dans la loi des éléments jusque-là définis par la jurisprudence. Ensuite, le périmètre retenu est le périmètre international. Pour ces raisons, je voterai contre ces amendements.

À la demande de la commission, les amendements nos24 rectifié bis, 56 et 921 rectifié sont mis aux voix par scrutin public.

Mme la présidente. – Voici le résultat du scrutin n°372 :

Nombre de votants 342
Nombre de suffrages exprimés 333
Pour l’adoption 47
Contre 286

Le Sénat n’a pas adopté.