Gérard Longuet : « Réforme du marché européen de l’énergie, l’épreuve de vérité entre France et Allemagne »
TRIBUNE – La France et l’Allemagne sont profondément divisées sur la question de l’énergie et en particulier du nucléaire, argumente le sénateur de la Meuse et ancien ministre. Un échec sur la réforme du marché européen de l’énergie électrique serait, selon lui, meurtrier pour la construction européenne.
Soixante ans après la signature du traité de l’Élysée, des trois grandes divergences franco-allemandes, l’énergie reste la plus préoccupante à court terme. En 1963, c’était sans doute la Défense qui pouvait nous séparer. Les Allemands profondément atlantistes, les Français le moins possible étaient éloignés. L’invasion russe du 24 février 2022 a durablement rapproché les deux grands pays et c’est un symbole fort que Volodymyr Zelensky ait été reçu, pour son premier déplacement en Europe, à l’Élysée par le président français et le chancelier allemand.
C’est le soutien du président Macron qui a débloqué la livraison de chars allemands Leopard à l’Ukraine. Désormais, l’Allemagne accepte les engagements extérieurs, hier tout à fait exceptionnels pour elle. De son côté, la France ne peut plus négliger l’Otan qu’Emmanuel Macron qualifiait hier de « cérébralement morte ».
Sur le plan économique, la France prend conscience, avec le retour à un temps de travail plus proche des standards européens, qu’elle ne peut plus indéfiniment accumuler des dettes et compter sur l’euro pour les financer à bon compte. Ainsi s’explique l’objectif du report à 64 ans de l’âge de la retraite. Cet engagement est décisif pour conforter la confiance mutuelle entre nos deux pays. Reste alors le fossé de l’énergie qui nous divise en profondeur, aujourd’hui, des deux côtés du Rhin.
Lors de l’organisation à Verdun, le 20 janvier dernier, d’un colloque sur la relation franco-allemande soixante ans après la signature du traité de l’Élysée, j’ai dû constater la réalité de nos différences. Certes, la bonne volonté n’a pas disparu, comme en témoigne l’annonce des solidarités entre nos deux pays, pour écrêter les pointes en échangeant des électrons. Encore faut-il que ce soit techniquement possible.
Le plus important est devant nous : dans les semaines qui viennent, la France, à Bruxelles, doit parvenir à faire bouger les règles du marché européen de l’énergie électrique. Nous verrons alors si le fossé franco-allemand peut progressivement se combler. Un échec serait meurtrier pour la construction européenne. Il dépend largement de notre compréhension mutuelle.
Se libérer de l’énergie fossile
Il nous faut faire accepter par l’Europe ce principe simple : la décarbonation de nos économies passe avant leur verdissement. C’est le CO2 qui génère le réchauffement climatique, pas le nucléaire. Les besoins immenses en production électrique pour décarboner l’industrie, avec le relais de l’hydrogène, supposent des électrons
innombrables, prévisibles tant par leurs quantités que par leurs coûts dans toute l’Europe. Un exemple : décarboner l’hydrogène actuellement consommé en France mobiliserait quatre ou cinq des réacteurs nucléaires de notre pays… Que dire alors des besoins de la sidérurgie, des cimenteries, de la chimie ? Non seulement l’électricité décarbonée doit nous libérer de l’énergie fossile mais elle doit aussi prendre en charge de nouveaux usages dans la mobilité, l’industrie ou encore le numérique.
Comment pourront le faire les Allemands avec la lointaine perspective d’énergies renouvelables importées d’Afrique ou du Proche-Orient ? Ils auront besoin de nous sauf à compter sur un retour du gaz russe ou une dépendance au gaz américain souvent issu de « sous-sols fracturés ». La sécurité en Europe repose sur les pays qui, comme la France, ont l’intelligence du nucléaire. Encore faut-il que l’Europe en reconnaisse les conditions scientifiques et économiques. Ce sont les deux premiers rendez-vous d’un rapprochement franco-allemand au service de l’Europe.
Présente à Verdun le 20 janvier dernier, Franziska Brantner, secrétaire d’État parlementaire auprès du ministre fédéral de l’Économie et de la Protection du climat, s’efforçait d’arrondir les angles, en refusant de stigmatiser la défaillance – provisoire – du parc électronucléaire français. Élégant, certes, mais il ne faut pas oublier, que si nous avons fermé Fessenheim, c’est en partie pour satisfaire nos «écolos» français et nos voisins allemands, dont elle! L’Allemagne a rapidement compensé la perte du gaz russe, c’est vrai, et les équipements nécessaires ont vite été réalisés, c’est un succès allemand. Mais il est irréaliste de penser que l’Afrique, qui manque tant d’énergie et d’énergie décarbonée, puisse sans problème alimenter l’Europe avec des équipements installés chez elle sans en bénéficier d’abord !
Les trimestres prochains vont voir l’Europe affronter deux décisions que l’Allemagne a toujours voulu contrôler :
- La taxonomie qui doit mettre en avant la décarbonation et pas le seul verdissement
- Les contrats de vente à long terme qui seuls – à travers mille formules différentes – permettront de financer des investissements à la rentabilité de long terme, comme le nucléaire ou l’hydraulique.
Ce sera l’épreuve de vérité entre la France et l’Allemagne. Nous n’imposerons pas le nucléaire à nos voisins. Mais qu’ils ne nous imposent pas des règles européennes qui condamnent les nécessaires investissements lourds. Seuls ces derniers permettent une électricité pilotable au coût prévisible.
Facturer des capacités aux clients, et non seulement des quantités produites, permettra seul de financer des investissements de long terme. L’électron ne se stocke pas ; l’équipement de production aux Capex (abréviation issue du terme anglais Capital Expenditure, les Capex désignent les dépenses d’investissement d’une entreprise, NDLR) élevées, mais aux coûts opérationnels faibles en proportion, permet de stabiliser le marché en organisant une abondance de l’offre. Que nos voisins acceptent des règles européennes qui le permettent alors chacun vivra sa vie sans condamner l’autre à l’échec. La bataille sera rude, raison de plus pour la mener dans la transparence. Le refus du nucléaire en Allemagne a un coût. Ceux qui l’écartent par principe en ont le droit, mais qu’ils ne nous envoient pas la facture d’un système absurde. Voilà un beau sujet franco-allemand.
Gérard LONGUET, Sénateur de la Meuse, Ancien Ministre
Le Figaro – 15/02/2023