Débat sur l’Avenir de l’Industrie
Débat en séance – Mercredi 20 Février 2013
M. Alain Chatillon . – La part de l’industrie était de 22 % dans notre économie en 1989. Elle est aujourd’hui de 16 %. L’hémorragie des emplois s’accentue dans ce secteur. Nous connaissons les causes de notre mal mais les remèdes proposés par le Gouvernement n’y répondent pas. Le coût du travail est plus élevé en France qu’en Allemagne, et cela tient aux charges ; c’est pourquoi nous avions proposé la TVA sociale, qui aurait frappé aussi les importations.
Le CICE ne bénéficiera que très peu aux PME qui, pour la plupart, ne paient pas d’impôt. Je crains que le choc de confiance n’ait pas lieu, d’autant que le CICE ne bénéficiera aux entreprises qu’à l’année n + 1. Globalement, les PME pourraient développer l’emploi. Il faut les y aider. C’est d’ailleurs ce que nous avons fait avec le crédit impôt recherche et les pôles de compétitivité.
Nos exportations diminuent depuis des années, contrairement à l’Allemagne. La montée en qualité des produits français est indispensable. L’Europe est une zone de prédilection pour les exportations françaises.
La fiscalité doit être plus incitative, il faut mieux répondre aux crédits export. Que fait donc la Coface ? Elle finance trop peu l’agro-alimentaire, par exemple à destination de l’Espagne.
M. Ladislas Poniatowski. – C’est bien vrai !
M. Alain Chatillon. – Le made in France doit retrouver ses parts de marché. La France a perdu sa première place mondiale dans l’agro-alimentaire. C’est pourtant le premier employeur industriel, avec 415 000 salariés et 14 % des exportations françaises. Le salon international de l’alimentation (SIA) doit apporter sa contribution aux entreprises françaises dans les pays émergents plutôt que de financer la concurrence en France !(Applaudissements à droite)
Pour exporter, il faut un dollar plus élevé.
La formation professionnelle est une condition sine qua non de la compétitivité des entreprises, tout comme la flexibilité. Les PME conservent leurs emplois -favorisons donc l’alternance, quand on sait que 70 % des jeunes restent dans l’entreprise où ils se sont formés. C’est une bien meilleure piste que les emplois d’avenir sans avenir !
M. le président. – Il faut conclure.
M. Alain Chatillon. – Dans le BTP, la TVA a doublé en deux ans : c’est 40 000 emplois qui vont disparaître. Le problème de Dexia n’a pas été résolu.
La BPI ? Il faudrait déjà savoir qui va faire quoi…
Nous avons des décisions importantes à prendre, l’entreprise et les salariés les attendent ! (Applaudissements à droite)
M. Yannick Vaugrenard . – L’industrie européenne, c’est un potentiel de savoir-faire, 35 millions de salariés, 1 600 milliards d’euros de valeur ajoutée par an. Mais la crise a frappé : pertes d’emplois, stagnation de l’innovation, déficits commerciaux. La France a subi de plein fouet ce recul. Mais le Gouvernement a pris la dimension du problème et adopté un arsenal de mesures d’urgence et de plus long terme en direction des PME et PMI. La France compte 2,5 millions de PME, soit 97 % des entreprises qui emploient plus de 7 millions de salariés.
La BPI a été créée pour les aider : un fonds spécifique garantit les crédits accordés par les banques privées, à un niveau décentralisé. Le fonctionnement du marché de l’assurance crédit doit être amélioré pour protéger contre les aléas de la situation économique. Je me félicite de la consultation des acteurs annoncée par le Gouvernement et par vous, monsieur le ministre.
Les obligations légales qui pèsent sur nos entreprises découlent de la politique européenne de la concurrence, l’une des plus exigeantes au monde. Le succès du géant chinois est écrasant, grâce aux aides d’État dont bénéficient les entreprises de ce pays, qui représente 21,7 % de la production manufacturière mondiale, devant les USA et l’Union européenne. Les aides constituent une concurrence déloyale. Il faut exiger des membres de l’OMC le respect des normes de l’OIT afin de contrecarrer le dumping social.
L’Europe n’est pas sans réagir, en voulant porter la part de l’industrie dans le PIB à 20 % d’ici 2020. Le programme Galileo est un formidable exemple de recherche ; il assurera à l’Europe l’autonomie qui lui manque en matière de navigation par satellite -marché évalué à 200 milliards d’euros. C’est l’exemple type de ce qu’il faut faire.
Tous les espoirs sont permis, à certaines conditions : une vraie volonté politique avec détermination à mettre la finance au service de l’économie, un soutien aux PME, une vigilance sur le respect des droits sociaux et pas seulement de la « concurrence libre et non faussée »…
Je sais que vous partagez ces objectifs, monsieur le ministre. C’est pourquoi nous vous soutenons.(Applaudissements sur les bancs socialistes)
M. Gérard Longuet . – (Applaudissements sur les bancs UMP) Faute de temps, je serai schématique, en espérant ne pas être trop simpliste. Je veux attirer votre attention sur l’intensité capitalistique croissante de notre industrie. Le diagnostic est connu. Le recul de l’industrie française s’observe en termes de part de marchés mondiaux par rapport aussi à d’autres pays de la zone euros -preuve que l’euro n’est pas la cause du problème !
Sur une longue période, la productivité globale des facteurs de production a changé. Les marges des entreprises sont trop faibles : 10 % de moins que la moyenne européenne, 28 % contre 38 %. Moins de marges, c’est moins d’investissement. Notre recherche et développement, en pourcentage de marge, est aussi importante qu’en Allemagne. Mais comme nous avons moins de marge…
L’intensité capitalistique nécessaire pour créer de la richesse ou un emploi s’accroît. La lecture marxiste classique y voit la faillite du système capitalistique à cause du rendement décroissant du capital tandis que les libéraux estiment que l’intensité capitalistique plus forte en France s’explique par une législation plus rigide et par une absence de flexibilité dans l’utilisation de l’outil de travail.
Il faut équilibrer nos atouts. Nous n’avons pas l’atout du coût salarial, très bien : jouons sur la valeur ajoutée, en investissant dans la formation et dans l’outil de travail, sans interdire aux entreprises de réaliser des marges. Il n’y aura pas d’industrie sans capitaux, pas de réussite sans profits ! (Applaudissements à droite)
M. Alain Chatillon. – Excellent !
M. Jean-Claude Lenoir. – Analyse brillante et pertinente !
M. Jean-Jacques Mirassou . – Je me concentrerai sur l’industrie pharmaceutique. Sanofi-Aventis, quatrième laboratoire mondial avec un chiffre d’affaires de 40 milliards et des bénéfices de 5 à 9 milliards par an, est en tête du CAC 40 avec Total. On y annonce une réorganisation pour 2015, avec pour objectif de muscler la recherche. Les salariés, pourtant, en feront les frais, avec une suppression annoncée de 1 000 postes et de plusieurs sites -à Toulouse et à Montpellier notamment. Les employés de ces deux sites se mobilisent et avancent des arguments forts : la masse des dividendes servie aux actionnaires à doublé en dix ans. Or ce qui va aux actionnaires ne va pas dans la recherche : c’est la financiarisation de l’activité. De plus en plus de molécules tombent dans le domaine public ; si l’on ne prend pas de l’avance, si l’on n’innove pas, le laboratoire se retrouvera dans une situation difficile.
Or Sanofi externalise de plus en plus sa recherche vers les laboratoires publics ou les start-up.
Il veut mettre l’accent sur les vaccins, les médicaments sans ordonnance, la santé animale, voire les alicaments, par le biais d’un rapprochement avec Coca-Cola. Les salariés s’en inquiètent : on va les extraire de leur corps de métier, qui est d’inventer des médicaments pour soigner les gens !
Quelles sont vos intentions sur ce sujet, monsieur le ministre ? Je sais que vous partagez ces inquiétudes, vous qui suivez ce dossier depuis huit mois.
Par le biais des AMM, les laboratoires voient leurs produits remboursés par la sécurité sociale ; ils bénéficient du CIR et des efforts consentis par les collectivités locales. Les pouvoirs publics ont un droit, et même un devoir, d’ingérence dans ce dossier !
La colère monte sur le site de Toulouse, face à la partie de poker menteur que joue la direction. Nous attendons les conclusions du chargé de mission que vous avez nommé pour envisager un traitement. Le groupe socialiste du Sénat a également demandé la nomination d’un médiateur pour rapprocher les points de vue car cela fait huit mois que le dialogue social est au point mort. Il s’agit d’un problème industriel, mais aussi d’un problème de santé publique. (Applaudissements sur les bancs socialistes)