21 novembre, 2024

Sortir du confinement et construire la mondialisation

Décidemment la mondialisation en France n’a pas bonne presse et la tragédie que la quasi-totalité du monde endure à présent depuis le foyer initial de Wuhan n’arrangera rien pour son image. Le malheur vient des autres, l’affaire est entendue !

Oui, la facilité des échanges, la circulation des touristes comme celle des travailleurs de toutes sortes précipitent la diffusion des catastrophes : la mondialisation ne fait qu’accélérer ce que l’on connaît depuis la nuit des temps. La peste noire au XIVème siècle comme le choléra au XIXème furent mondiaux, sans les bénéfices d’une solidarité mondiale. Oui, l’actualité évoque des kidnappings de masques sanitaires en Tchéquie au détriment de l’Italie, ou par préemption dans des aéroports au détriment de nos entreprises ou de nos collectivités locales.

Mais retenons la coopération mondiale, les laboratoires, les entreprises pharmaceutiques, les hôpitaux qui travaillent en réseau avec des financements internationaux ou européens. Les coopérations l’emportent sur la jalouse défense d’intérêts particuliers. Pour les traitements comme pour les vaccins, pour les tests virologiques comme pour les tests sérologiques, les coopérations sont d’autant plus évidentes que les entreprises et les carrières des savants sont mondiales. Il faut simplement l’habitude de la coopération et des règles du jeu communes et stables.

Car pour moi, en effet, la mondialisation n’est ni un bien ni un mal mais une évidence avec laquelle il faudra vivre chaque année plus et qu’il appartient d’appréhender pour chacun d’entre nous et pour les collectivités auxquelles nous appartenons avec le sens des opportunités qu’elle recèle.

Car si la mondialisation est irréversible, elle ne fait disparaître à ce jour ni la diversité des cultures, ni la réalité des institutions politiques territoriales de toute nature. La mondialisation est à la fois superficielle et profonde. Il ne faut méconnaître aucun de ces deux traits.

Superficielle car la diffusion mondiale d’outils techniques identiques supportant des services en apparence semblables ne gomme pas pour autant les diversités durables profondément enracinées, les religions, par exemple. Les mêmes selfies, les mêmes containers, les mêmes Jets, ou la même fibre optique, comme hier les mêmes jeans, les mêmes « big mac », le même Coca, voire les mêmes chanteurs de U2 à Madonna nous suggèrent un monde en apparence uniforme. Ces vingt dernières années, mes centaines de déplacements professionnels en Europe, en Asie, en Afrique et même aux Etats Unis, pays si singulier, m’ont vite fait comprendre que l’apparente identité des décors de l’hôtellerie par exemple, modernes et somptueux pour les Grands Hôtels de la Chine ou de l’Extrême Orient, clinquants dans le Golf, inlassablement reconstruits dans la vieille Europe, il y avait profondément pour chaque population locale des cultures et des comportements différenciés. De plus, entre Etats les relations sont très hiérarchisées, la mondialisation n’est donc ni homogène, ni équilibrée. Ce sentiment était le même que je voyage comme élu en mission d’information, comme Ministre représentant la France, ou comme Administrateur de Sociétés pour aider l’un ou l’autre de mes divers partenaires.

Les Etats continuent d’exister lorsqu’il s’agit pour une entreprise de vendre, d’acheter, d’établir des relations « organisées » avec d’autres partenaires sur un nouveau marché. Les investisseurs internationaux de leur côté lorsqu’ils cherchent à valoriser l’épargne de leurs actionnaires ne perdent jamais le sens des seuls intérêts de ces derniers ; ils sont bien nationaux. Mais les conditions réalistes de la mise en valeur de tels ou tels territoires qui leur sont étrangers à l’origine et qui ne sont jamais les mêmes imposent pour eux l’adaptation. Investir « à l’étranger », c’est comprendre à la fois le caractère inéluctable de la mondialisation et reconnaître – pour ne pas être déçus et parfois ruinés – la spécificité du territoire où l’on souhaite s’établir.

Ces derniers mois, j’ai beaucoup travaillé au Sénat sur la souveraineté numérique. Pourquoi diable la mondialisation est-elle inéluctable en ce domaine ? Parce que dans la nouvelle économie, mais ce n’est pas vrai que du seul numérique, le « premier prend tout ». Et pour être premier dans le monde, il faut une base locale solide et riche, pour financer votre développement dans tous les pays. Si vous n’êtes pas mondial, la probabilité que vous perdiez votre liberté d’entreprise est très forte. Les marchés, tous les marchés, ceux des biens et des services, mais de plus en plus ceux des sciences et des technologies, des loisirs, de la culture, des sports ou du tourisme, sont dominés par des acteurs mondiaux. Ces acteurs, pour la plupart d’entre eux ont une base géographique d’origine forte, mais se construisent nécessairement une présence mondiale.  Les Américains et les Chinois ne sont pas les seuls ; trois exemples français me viennent à l’esprit, Air Liquide, l’Oréal et LVMH. Il y en a d’autres, Safran, Thalès, Critéo ou Dassault System. Mais force est de constater que l’univers des données, du numérique et des services nouveaux qui en découlent est dominé par les Etats Unis et la Chine.

Et ces services numériques, ne nous y trompons pas, comme le lierre sur l’arbre, dépouillent les entreprises installées qui chaque jour sont de plus en plus dépendantes d’eux. C’est par exemple l’industrie hotellière désormais dépendante de « Booking », ce sont les « hardware » des télécoms absorbés par les services, et demain peut-être l’automobile dévorée par les services de véhicules autonomes où se nichera la valeur. Ce sont la pharmacie et le luxe qui peu à peu dépendraient des relations avec le patient ou avec le client contrôlées par les services de données de masse, adossés à l’Intelligence Artificielle.

La mondialisation heurte et bouscule les cultures préexistantes. Par exemple, l’analyse génétique de masse prépare la médecine prédictive. Et cette dernière rendra la solidarité face à l’aléa de santé plus difficile, car assurer les cas faciles et seulement ceux-là deviendra peut-être possible pour les assureurs cyniques. Sans oublier la « génétique appliquée » non pour sélectionner les bovins ou diffuser des cultures vivrières adaptées, mais bien au-delà pour instiller une tentation d’eugénisme discret au profit de ce que l’on croit être les meilleures souches pour reproduire les êtres humains quasi scientifiquement.

Je suis encore parlementaire et je suis toujours un homme politique. Je dois des comptes à mes électeurs, les citoyens Français dont je me sens en – toute petite – partie responsable, avec une affection plus particulière pour les Lorrains et les Meusiens que je représente depuis si (trop !) longtemps. Mon rôle n’est donc pas de faire d’abord un geste pour la planète, il est bien de m’occuper des miens. Mais peut-on le faire sans participer à un mouvement mondial, tant le monde est devenu global ? A chacun sa part du fardeau et la vie de tous sera allégée. En un mot, si le champ des confrontations, de toutes natures, est mondial, réussir pour ceux dont on a la charge est une contribution utile pour le monde entier. L’échec de l’Europe n’enrichira pas le Monde pas plus que cet échec ne sauverait la planète, bien au contraire. L’oubli de la France ou l’oubli de notre Région, comme l’oubli d’une culture libérale et humaniste dans la lignée de l’héritage judéo chrétien n’est pas un service que l’homme politique européen rendrait au reste du Monde. Parce que le Monde au plan politique ne peut être saisi comme une seule culture, une seule voie vers le bonheur, un seul sens de la vie. Et pourtant ce Monde ne peut oublier qu’il est un tout, parce que les découvertes valent pour tous, parce que les acteurs économiques ont besoin d’être mondiaux, parce que même mal comprises ou rejetées les idées et les informations cependant circulent à la vitesse de la lumière et tous peuvent y accéder. Les hommes eux, circulent à la vitesse du Jet, les biens matériels cheminent à la vitesse du container embarqué, mais à un prix si modeste qu’en euros, Shanghai est plus proche d’Anvers que ne l’est Tarbes de Paris, par exemple.

Simplement les espaces ne sont pas interchangeables et ils ne l’ont d’ailleurs jamais été. Les différences restent. Les histoires sont différentes. Japonais et Allemands ne font plus guère d’enfants. Pourquoi ? De notre côté du Rhin au contraire cela va encore, même si… Au Sahel la progéniture abondante reste la règle. Règle que réfutent les Chinois de Pékin mais qu’acceptent les Indiens de New Delhi. Dans l’actualité mondiale des conflits et des tensions, la volonté politique est bien faible en Europe, bien forte aux Etats Unis, persévérante à Pékin, affirmée à Moscou avec des moyens pour cette dernière bien moindres que les nôtres, pourtant.

La mondialisation s’impose comme une réalité à tous les pouvoirs politiques, pourtant elle ne les condamne pas à disparaître. Trump peut proclamer « America First » et en même temps il ne peut ignorer le monde tel qu’il est à ce jour, le Covid19 le lui rappelle. Les Gafa surpuissants ont besoin cependant de relations politiques apaisées entre les Etats Unis et l’Asie. La majorité des Américains se soucie de l’environnement, ce que croit pouvoir ignorer le Président Trump. Seraient-ils mondiaux ces citoyens de base ? Ils le sont sans aller à ce jour jusqu’à renoncer aux conforts acquis d’une économie goinfrée de matières premières.

Chacun vit la mondialisation à sa façon !

Les plus jeunes et les plus éduqués en Europe adhérent semble-t-il à l’idée d’un monde uni, dominé par une élite sage et d’abord respectueuse de l’environnement. La politique traditionnelle et les états historiques céderaient la place à un fédéralisme paradisiaque mais totalement insaisissable. Les avatars de ces mouvements sont innombrables des « Grünen » historiques qui en Allemagne participent aux pouvoir jusqu’au nouveaux radicaux d’« Extinction-Rebellion » qui refusent tout compromis. Les connaître est utile pour l’homme politique même s’il est en général déconseillé de les suivre au pied de la lettre. Ce sont en général ceux qui veulent un monde uni et naturel qui en viennent à penser que l’homme est la première pollution du monde et qu’il doit être toléré qu’au prix d’une infinie modestie et d’une grande discrétion de son « empreinte ». En un mot l’homme civilisé doit renoncer à ce qu’il a conquis, la décroissance est pour eux une évidente nécessité.

Pour eux aussi la disparition de l’espèce n’est pas encore programmée mais implicitement une forte réduction serait surement bienvenue ! Dans cette perspective qui veut donner l’exemple ? Personne !

D’autres imaginent, toujours hors des Etats, un Gouvernement Mondial, qui s’imposerait par son autorité intellectuel et technique. Il serait à la fois universel et « fusionnel ». La victoire d’un politiquement correct sans contestation possible. Une sorte de Giec pour tous, pour tout et tout le temps. En terme d’image, c’est l’enfant de Davos et de l’Organisation des Nations Unies. A Davos, les intervenants s’adressent au Monde du fond des Alpes Suisses. Or ils n’existent en réalité que par les intérêts particuliers qu’ils ont su conquérir. Victoire médiatique d’un instant, qui méconnaît la réalité des peuples. C’est un appel permanent aux « Gilets Jaunes » de tout acabit.

Quant au gouvernement mondial adossé à l’ONU, il est à peu près impensable : la paralysie du Conseil de Sécurité – aux torts partagés des grandes nations disposant du véto – et le désordre de l’Assemblée Générale nous prouvent que la conscience mondiale solidaire affichée ne dure qu’autant que les intérêts nationaux, au demeurant compréhensibles faute d’être légitimes, ne sont pas menacés : la vie mondiale est un conflit et l’ONU n’a d’autorité que par l’entente des « très Grands ». Sans cela tout est désordre : l’Europe se dresse contre l’huile de palme qui reste cependant un espoir pour les paysans malais ou indonésiens. La France condamne la forêt brésilienne qui brule en oubliant que notre richesse historique vient de l’époque où nos moines et nos paysans défrichaient pour « labourer et pâturer » ! Le Sud nous reproche notre consommation d’énergie mais ce sont nos achats de matières premières qui leur permettent de décoller  et soulager ainsi le prix d’une démographie pour le mieux généreuse !

Pour rapprocher politiquement les nations que la science, la technologie, l’économie, l’information et la culture relient, il faut des autorités politiques passionnément enracinées et donc responsables de leurs citoyens, obligées cependant, même si elles ont le sentiment de leur puissance ou de leur légitimité, de composer avec les autres. Dans le monde d’aujourd’hui il ne doit pas y avoir un actionnaire majoritaire pour diriger la mondialisation. Tous y participent, à concurrence de leurs apports.

Lorsqu’il y a une Assemblée générale comme celle de l’ONU, elle doit être ouverte aux alliances et aux compromis. Pas facile mais indispensable.

Sans forum, sans rencontre, le désordre international nous conduirait à la loi du plus fort, ou aux anarchies régionales. La loi du plus fort n’est plus possible, car quelle nation voudrait porter la responsabilité d’un nouvel ordre impérial, aucune. Le plus fort serait égoïste et en même temps assiégé par tous les autres. L’avenir est plus vraisemblablement dans la coopération active de Grands Systèmes Régionaux : l’Amérique de « Monroe », l’Europe organisée et la Russie qui doit lui être associée. L’Asie se cherche et craint le pouvoir solitaire de la plus grande de ces puissances régionales. L’Afrique se construit malgré tout. La mondialisation est un fait. Elle doit être organisée.

Le contraire, je le répète avec force, serait l’anarchie et donc soit rapidement la tyrannie solitaire de la puissance la plus brutale sans considération pour toutes les autres nations – et le XXème siècle a été riche en tentatives –  soit le règne absolu du plus riche et du plus évolué techniquement, décidé à ne partager que les miettes. Ni l’un ni l’autre ne serait acceptable ni pour notre construction européenne, ni pour notre indépendance politique nationale qui est la garante de notre liberté individuelle.

Gérard LONGUET – 06 avril 2020